RAWA-RUSKA
Camp témoin des pires atrocités durant la Seconde Guerre mondiale.
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Évoquant le camp de Rawa-Ruska sur les ondes de la BBC, Winston Churchill l'avait baptisé le «camp de la goutte d'eau et de la mort lente». Un camp disciplinaire en Ukraine où des milliers de prisonniers (Russes, Français…) sont morts dans des conditions inhumaines. |
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1. Localisation et histoire mouvementée.
RAWA-RUSKA est petite ville de Galicie située aujourd’hui en Ukraine, à une dizaine de kilomètres de la Pologne.
Après la première guerre mondiale, la ville faisait partie de l’état nouvellement créé de Pologne.
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En septembre 1939, lorsque l'Allemagne nazie envahit la Pologne, l'Union soviétique, conformément aux dispositions secrètes du pacte signé le 23 août 1939 (pacte Ribbentrop-Molotov), annexe la partie orientale de la Pologne où se situait alors RAWA-RUSKA.
RAWA-RUSKA est envahie par l'Armée rouge en septembre 1939. La ville est annexée par l'URSS et intégrée dans la République socialiste soviétique d'Ukraine.
La ligne de démarcation avec la partie occidentale de la Pologne, occupée par l'Allemagne, passe alors à la limite nord-ouest de la ville.
Le 22 juin 19411, l'armée allemande envahit l'URSS. Le 1er août 1941, RAWA-RUSKA est conquise et rattachée au Gouvernement général. Dès le premier jour de l'occupation allemande, la ville devient le théâtre d'assassinats de masse commis par les nazis.
L’armée soviétique bat en retraite et laisse derrière elle des milliers de morts et de prisonniers de guerre
2. La ville devient un ghetto juif.
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La localité de Rawa-Ruska se trouve dans le « triangle de la mort », au nord-ouest de Lemberg, à proximité de Lublin-Majdanek, Tréblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec.
Au cours de cet été 1942, les autorités allemandes organisent un camp juif dans la partie centrale de la ville. Un ghetto délimité par des fils barbelés, Ils y concentrent toute la population juive locale et des villes voisines ( Nemirow, Uhnow et Magierow). 18 000 personnes environ sont ainsi parquées dans et largement condamnées à mourir d’inanition ou du typhus. La troisième rafle, du 7 décembre 1942 au 10 janvier 1943, fait plus de 14 000 victimes.
En avril 1943, le camp de la ville de Mosty Wielkie, dans lequel se trouvaient plus de 1 200 personnes juives, est transféré au ghetto de Rawa-Ruska. Dans la nuit du 10 novembre 1943, tous sont acheminés à Borowe, où ils furent fusillés et enterrés dans une fosse.
C’est ce qu’on a appelé la "shoah par balles". Les prisonniers ont pu voir les charrettes de cadavres, puis les trains pour Belzec, un camp d'extermination situé à une quinzaine de kilomètres. Les nuits ont été parfois peuplées de bruits de mitraillettes.
Un prisonnier du camp racontera plus tard : « Les Allemands avaient transformé la région de Lemberg Rawa-Ruska en une espèce d’énorme ghetto. On avait amené dans cette région, où les Israélites étaient déjà nombreux, des Juifs de tous les pays d’Europe. Tous les jours, pendant cinq mois, sauf une interruption de six semaines, environ en août et septembre 1942, nous avons vu passer, à 150 mètres de notre camp, un, deux, quelquefois trois convois de wagons de marchandises, dans lesquels étaient empilés hommes, femmes et enfants. Un jour, une voix venue de ces wagons nous cria : ‘’Je suis de Paris, nous allons à la boucherie.’’ »
3. RAWA-RUSKA, un camp de représailles.
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Quand on parle des camps, il faut distinguer camp d’extermination, camp de concentration, camp de déportés civils et camp de prisonniers de guerre. RAWA-RUSKA se situait dans cette dernière catégorie mais se singularisait comme « camp de résistants-prisonniers », camp de représailles ».
En mars 1942, un avis est apposé dans les stalags. Sur ordre de l’OKW, les prisonniers français et belges évadés récidivistes, ou coupables de sabotages ou de refus de travail réitérés, doivent être transférés sur RAWA-RUSKA et ses sous-camps.
RAWA-RUSKA fut choisi pour son extrême éloignement de la France et de la Belgique. Toute évasion était pratiquement vouée à l’échec. En outre, le territoire était soustrait aux garanties de la Convention de Genève.
Le premier convoi de 2000 hommes, arriva à Rawa-Ruska le 13 avril 1942.
En tout, environ 25000 prisonniers de guerre ( surtout des français, il n’y eut que 500 belges ) furent amenés dans des wagons à bestiaux, à raison de 80 personnes au moins par wagon, avec pour toute nourriture une ou deux soupes, servies dans des récipients de fortune, des boîtes de conserve rouillées, en nombre insuffisant.
Une grande partie des détenus y périrent en raison des mauvaises conditions de vie.
Dans une lettre édifiante au procureur général du procès de Nuremberg, le lieutenant-colonel Borck, chef du camp, écrit peu avant son exécution : « Rawa-Ruska restera mon œuvre, j'en revendique hautement la création, et si j'avais eu le temps de la parachever, aucun Français n'en serait sorti vivant. Car je peux bien le dire maintenant, puisque je vais mourir, j'avais reçu des ordres secrets de Himmler d'anéantir tous les terroristes français ».
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4. Les conditions de vie
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Ce camp était surnommé le « camp de la goutte d’eau et de la mort lente » en raison des conditions sanitaires déplorables (manque d’eau, sous-alimentation). Preuve de la rudesse de la vie quotidienne, il n’y avait qu’un seul robinet pour l’ensemble du camp qui distribuait une eau polluée et à faible débit.
Les hivers rigoureux et longs de cinq mois. Le thermomètre chute à – 20, – 30o. L’été peut être en revanche très chaud, et les marécages et les tourbières des environs sont infestés de moustiques. En raison de leur affaiblissement, les détenus sont des cibles privilégiées pour le typhus, la typhoïde, la diphtérie, la dysenterie bacillaire.
5. Camp d’extermination des prisonniers soviétiques.
Du mois de juillet 1941 au mois d’avril 1942, plus de 18 000 prisonniers de guerre soviétiques furent détenus à Rawa-Ruska, où ils trouvèrent la mort. Les agents de la Gestapo fusillent sans jugement ceux qu’ils considèrent comme du « bétail humain » , ainsi que les militants soviétiques, et enfouissent les corps, emportés sur des remorques de tracteurs, dans la forêt de Wolkowice.
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Voici un récit :
« À l’entrée des prisonniers de guerre au camp, on leur enlevait chaussures et vêtements. On ne donnait presque pas de nourriture aux prisonniers de guerre. Rarement on leur donnait une soupe d’épluchures de pommes de terre ou on les nourrissait avec des pommes de terre gelées, pourries. Les prisonniers de guerre tombaient d’inanition, de faim. Les prisonniers n’ayant plus la force d’avancer, étaient obligés d’avancer sous les coups de bâtons, de fusils à répétitions pour se rendre au travail. La plupart d’entre eux mouraient là, sous les coups reçus. En période d’hiver, les prisonniers de guerre, sous escorte, se rendaient au travail, sans vêtements et sans chaussures. Beaucoup allaient au travail pieds nus, dans la neige et gelaient en route, et ces malheureux, les Allemands les fusillaient. Étant affamés, les prisonniers de guerre se jetaient sur les cadavres de leurs camarades, dépeçaient les cadavres, faisaient cuire la chair humaine et la mangeaient. »
Comme il fallait faire de la place pour accueillir les français et les belges au camp de représailles, les prisonniers soviétiques furent froidement abattus.
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6. Un acte de rébellion et de résistance.
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Le 14 juillet 1942, les détenus, à l’occasion de la fête nationale, organisent un défilé. Avec un drapeau tricolore confectionné à partir de lambeaux de tissus trouvés sur place, une partie des prisonniers défilent devant leurs compatriotes, en chantant. Misant sur la méconnaissance de la langue française de leurs gardes, ils chantent la Marseillaise puis parodient les paroles d’autres chants pour manifester leur résolution de ne rien céder moralement à leurs adversaires, ainsi qu’aux autorités de l’État français ( Gouvernement de VICHY).
7. Le bilan humain.
Du 24 au 30 septembre 1944, une commission d’enquête soviétique visite le district de Rawa-Ruska.
Cette commission découvre aux environs de Rawa-Ruska :
- plus de 5 000 cadavres enterrés au cimetière juif situé près du centre de la ville ;
- 1500 cadavres inhumés dans la forêt de Borowe, à environ 3 km du centre de la ville ;
- 4000 cadavres inhumés à « environ 1 000 m au sud du centre de la ville », à côté du cimetière juif ;
- Le cimetière français, à la lisière de la forêt de Wolkowice, contient 23 tombes individuelles.
- Dans la forêt de Wolkowice, à environ 3 km au sud, plus de 8 000 prisonniers de guerre soviétiques torturés et fusillés ont été jetés dans une fosse ;
- Dans la même forêt, à environ 2 km au sud-est de la ville, on a trouvé plus de 7000 cadavres de prisonniers de guerre torturés et fusillés ;
- Dans la forêt de Sedliska, à 4 km de Rawa-Ruska, plus de 11000 cadavres ont été retrouvés :
D’après la Commission, les troupes allemandes ont exterminé dans le district de Rawa-Ruska au total 41500 personnes : 17500 civils (les habitants de Rawa-Ruska), 18000 déportés du camp, 6000 personnes acheminées du district de Rawa-Ruska à « l’usine de la mort » de Belzec.
8. Les oubliés de l’histoire ?
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Après la guerre, les déportés belges et français se sont réunis en association et ont créé l’union nationale « Ceux de Rawa-Ruska ».
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On trouve peu d’information sur les déportés belges. Nettement moins nombreux que les Français, leur mémoire n’a manifestement pas été perpétuée. Peu de traces d’eux en Belgique également, sinon une discrète exception dans le cimetière de Marcinelle où se dresse un monument portant l’inscription : « MÉMOIRE ÉTERNELLE AUX PATRIOTES FRANÇAIS ET BELGES TOMBÉS DANS LA LUTTE CONTRE LE NAZISME À RAWA RUSKA URSS 1942-1944 », ainsi que sa traduction en cyrillique (ukrainien).
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Ceux de RAWA-RUSKA sont ainsi restés des oubliés de l'Histoire. Mais ils se sont retrouvés au sein de leur association, ils ont choisi pour emblème des mains qui brisent une chaîne (pour symboliser le refus de l'asservissement, qu'il s'agisse de la captivité ou l'asservissement à la doctrine nazie) surmontée par la colombe de la paix.

