L’abbé PIERRE : prêtre, résistant, hors-la-loi, iconoclaste.
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L’abbé PIERRE, de son vrai nom Henri GROUES, est né le 5 août 1912 à Lyon. Il a grandi dans un milieu aisé ; il était le cinquième enfant d’une famille nombreuse de huit.
« Abbé PIERRE », ce fut son pseudonyme dans la Résistance. Mais il a eu
d’autres : « Georges Houdin » ou « Harry Barlow ».
L’image du grand barbu en soutane, en grosse pèlerine élimée avec une canne, un béret et des godillots lui donné son image de « héros légendaire », de « juste ».
Surtout connu pour son action, sa révolte contre la misère, il fut aussi, d'abord un grand Résistant.
C'est cet aspect de sa vie que nous allons décrire ici.
Ses actions dans la résistance lui ont valu la Croix de Guerre 1939-1945 avec Palme à la Libération.
Après la guerre, comme tant d'autres combattants de l'ombre, il devint un grand militant pacifiste.
1.Jeune prêtre, au début de la guerre.
Depuis avril 1939, l'abbé Henri Grouès est prêtre au diocèse de Grenoble. Sous-officier, il est mobilisé et part pour l’Alsace. Mais souffrant d'une grave pleurésie, il doit être hospitalisé.
À la débâcle de 1940, il est à peine convalescent. L’évêque de Grenoble l’envoie en montagne comme aumônier d’hôpital. Quelque temps plus tard, de retour à Grenoble, il est nommé vicaire à la cathédrale. Son évêque, Mgr CAILLOT, était un chaud partisan du maréchal Pétain.
2. Sa « conversion » à la Résistance.
Découvrant les horreurs de la persécution des patriotes et des juifs, Henri Grouès s’engage dans la Résistance le 18 juillet 1942.
Mais son entrée effective date de la rafle des Juifs de GRENOBLE, le 26 août 1942 : 595 Juifs arrêtés dans la région, dont 98 arrêtés en Isère, sont envoyés à Drancy avant d'être déportés à Auschwitz. Seules 6 rentreront de déportation.
Une nuit, deux hommes catastrophés se présentent chez lui. Ce sont deux juifs dont, en leur absence, la police vient d’arrêter et d’emmener leurs femmes et leurs enfants. Alertés par le voisinage, les deux hommes sont en fuite.
Pour les cacher, il s’adresse aux religieuses des Dames de Sion dont les relations avec le judaïsme sont leur vocation. Mais elles cachent déjà beaucoup trop de monde. Il faut quand même agir sans trop se poser de questions.
La Mère supérieure lui trouve de quoi fabriquer des faux papiers et une jeune religieuse lui apprend à imiter la signature du commissaire de police. En échange, il devra faire passer en Suisse, en plus des deux Juifs, quelques-uns de leurs protégés. C’est ainsi que le Père Grouès passa en Suisse, par la région de Chamonix, avec douze fugitifs.
3. Sa participation pleine et entière à la Résistance.
Ce ne sera que le premier de nombreux autres voyages. Il fait passer en Suisse des Juifs, des réfractaires du STO, et même Jacques de Gaulle, le frère du général, gravement handicapé.
Il aurait sûrement mérité d'être fait "Juste parmi les nations", mais aucune demande n'a jamais été introduite. D'autres rafles furent organisées : en septembre et octobre 1942, en février 1943, le 24 décembre 1943 aisnsi que les 6 et 8 février 1944.
L’abbé Pierre accueillit des juifs, mit sur pied à leur intention un laboratoire de faux papiers et organisa les passages de la frontière vers la Suisse.
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4. L'Abbé PIERRE, maquisard.
En février 1943, une loi institue le Service du travail obligatoire (S.T.O.) en Allemagne.
Après l’instauration du STO, l’abbé PIERRE, est confronté à un afflux de demandeurs d’asile. Le placement dans des fermes ne suffit plus, il crée un maquis en Chartreuse. Après plusieurs attaques italiennes, ce maquis fut transféré dans le Vercors, sur le plateau de Sornin, au début de l'année 1943.
Il édite, en avril 1943, un bulletin de liaison destiné aux cadres du maquis. pour lequel il a besoin d’une secrétaire. En fait, il s'efforça surtout d'harmoniser les relations entre des hommes que, au départ, rien ne devait réunir. A cette occasion il rencontra Lucie Coutaz, qui devint sa principale collaboratrice durant 39 ans et sera la co-fondatrice d’Emmaüs.
La publication clandestine, imprimée à Grenoble, s’appelle L’Union Patriotique Indépendante (UPI).
Il prend plusieurs identités clandestines, dont celle d'« abbé Pierre », afin de ne pas être repéré par la Gestapo et la police du régime de Vichy.
Les camps de Sornin émigrent ensuite à Malleval (Isère), cuvette estimée plus sécurisante.
De novembre 1943 à février 1944, il a également organisé, avec Mademoiselle de Sainte-Marie, le ravitaillement des détenus de la prison de Montluc (Lyon).
5. Le camp de MALLEVAL.
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De son côté, Albert Seguin de Reyniès, chef de l’Armée Secrète (AS) pour l’Isère, appartenant à l’Organisation de la Résistance de l’Armée (ORA), porte son intérêt sur Malleval, afin d’ouvrir un camp-refuge encadré par d’anciens cadres du 6e BCA, de manière à préparer une unité formée militairement et apte, le moment venu, à épauler les troupes devant débarquer dans le Midi. C’est ainsi qu’arrivent, à Malleval, l’adjudant Eysseric (« Durand ») et trois compagnons.
Ce camp avait pour unique accès un sentier taillé dans la roche à pic.
D’un effectif d’une centaine d’hommes, le camp de Malleval est ramené, en janvier 1944, à une trentaine suite à la décision de Seguin de Reyniès d’évincer Pierre Godard pour le remplacer par Gustave Eysseric.
Le maquis de Malleval est découvert et anéanti par les Allemands fin janvier 1944. Les Allemands étaient mille, contre une centaine de maquisards. Encerclés, ils seront vingt-cinq à tomber sous les balles ennemies.
La répression fut féroce : des résistants fusillés, des habitants jetés dans une grange en feu, et d'autres déportés.
En 1947, l'Abbé PIERRE avait proclamé :
« Paysans qui êtes montés au secours des ruines de Malleval, au secours de la pitié humaine en déroute, dites-le aujourd’hui : lequel d’entre vous n’a pas trouvé, à moitié enfoui dans la neige, les yeux au ciel, un corps raidi à côté d’un fusil rouillé ? »
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6. Abbé PIERRE, proscrit.
Hélas, fin 1943, il est dénoncé. Commence une vie de cache-cache qui va durer des mois. L’abbé Pierre avait quitté Malleval avant l’attaque allemande du 29 janvier 1944.
En février 1944, recherché par la Gestapo de Lyon, ses chefs lui ordonnent de franchir les Pyrénées pour rejoindre de Gaulle à Alger. Il prendra successivement les pseudonymes d' « abbé Houdin » à Paris, puis celui de « Sir Harry Barlow », dans le cadre de sa mission à Gibraltar pour le BCRA, le 14 juin.
Entre février et mai 1944, il fut rédacteur à l'AID (Agence d'Information et de Documentation), créée par le CNR.
Traqué par la Gestapo, il est arrêté le 19 mai 1944 au retour d'un voyage en Espagne. Il parvient à s'évader dans la nuit du 19 au 20 mai. Le 26 mai, il reprend la route de l'Espagne et relie, en 20 jours, Paris et Alger. À partir d'août 1944, il devient aumônier de la Marine, au Maroc.
7. L'abbé Pierre a sauvé un frère du général de Gaulle.
Jacques de GAULLE, était menacé d’arrestation. Il voulait passer en Suisse malgré la maladie de Parkinson qui le handicapait. L’abbé PIERRE le porta à travers les barbelés, avec la complicité des douaniers français.
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8. Combattant de la paix, anti-colonialiste et anti-nucléaire
Non seulement il s’est battu contre la pauvreté et la faim mais il a aussi milité pour la paix dans le monde. Il défendra ses convictions pacifistes et anti-colonialistes jusqu’à la fin de sa vie.
Dès 1948, il rencontre Habib Bourguiba, le militant nationaliste tunisien qui prendra la tête du pays en 1957 et pour trente ans.
De mars à mai 1960, il visite les colonies françaises d’Afrique subsaharienne en lutte pour leur indépendance.
En Inde en 1962, il participe à une convention contre l’armement nucléaire.
9. Abbé PIERRE, iconoclaste.
Il n'hésite pas à s'en prendre à La Marseillaise. En témoignent, les deux textes suivants :
« Après les crimes interraciaux, prescrits comme des idéaux (et le monde est loin d'être guéri partout de cette honte !), quel maître d'école, quel père, quelle mère, peuvent encore imaginer devoir apprendre à leurs enfants à haïr, et à rêver d'abreuver notre terre de sangs impurs ? »
Extrait d’une déclaration de l'Abbé Pierre à la Sorbonne le 10 janvier 1989 sur la Marseillaise
Et celui-ci :
« On m'a trop souvent dit qu'un hymne national faisait partie de notre culture, de notre histoire et qu'il n'était pas possible de le changer. Je m'inscris en faux contre cette idée. Plusieurs ont été modifiés et notamment les hymnes soviétiques et chinois avec de nouvelles paroles. Les aspects belliqueux en ont été gommés. C'est la preuve que de grandes puissances orgueilleuses qui évoluent très lentement et qui ne se corrigent pas volontiers ont changé leur hymne. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ? […] Aujourd'hui je ne la chante pas […] depuis que j'ai pris conscience de cette introduction dans les esprits d'une notion raciste, je ne peux absolument plus. […] Enlevons le mot impur de sang impur. […] Nous ne pouvons pas entretenir le culte de la pureté du sang après avoir vécu ce que nous avons vécu en France. Cette idée que nous pourrions avoir un sang pur et que celui des autres serait impur est tout à fait inacceptable. C'est du racisme. On nous fait chanter et célébrer du racisme. […] Des parents d'élèves ou des associations de parents pourraient fort bien attaquer en justice l'État ou ses instituteurs en argumentant qu'ils inculquent, à leurs enfants, depuis la petite école, une notion raciste d'impureté du sang. »
Extrait d’une déclaration de l'Abbé Pierre sur la Marseillaise
On lui doit aussi, écrit avec Bernard KOUCHNER, le texte suivant « La nécessité de l'indiscipline »
« Le général de Gaulle a dit un jour que l’histoire était faite de longues périodes de discipline et de rares indisciplines illustres. Il faut savoir choisir le temps et le sujet de l’indiscipline. (…) Pour venir en aide à un humain sans toit, sans pain, sans soins, il faut savoir braver les lois.
Il ne s’agit pas d’être inconscient ou léger, en général on doit respecter la loi. Mais toute loi est imparfaite et le législateur lui-même consacre son énergie à l’améliorer : la preuve qu’elle n’est pas intouchable. (…)
J’aimerais définir cette idée d’illégalité, c’est-à-dire le caractère sacré de la légalité et sa relativité. Dans toute société, il y a des manières d’être qui deviennent des règles, des lois. Mais telle loi, totalement justifiée quand elle est adoptée, peut – sous le coup d’événements imprévisibles – devenir radicalement illégale. Du moins en regard de ce que j’appelle la Loi des lois. À ce moment-là, on se soumet ou on se révolte. (…)
Personne ne pouvait à l’avance imaginer l’occupation allemande de 1940-1944. Mais avec la présence de l’armée hitlérienne, la personne du vieux Maréchal a tiré notre système légal du côté d’un faux ordre intolérable. Voilà pourquoi nous devions changer complètement le regard que nous portions sur la loi. L’illégal devenait légitime. »