Joseph BOLOGNE :
Bourgmestre de LIEGE en 40.
Une personnalité dans la tourmente.
/image%2F2782635%2F20230110%2Fob_de4bcf_pourquoi-pas-12-4-1940.jpg)
1.Joseph BOLOGNE, bourgmestre de LIEGE « par accident ».
Joseph BOLOGNE est un pur liégeois : né à LIEGE le 17 novembre 1871 et y décédé le 17 septembre 1959.
À l’âge de seize ans, il travaille comme employé chez DUMON, un marchand de tabac à Liège. Firme dirigée par un libéral progressiste qui le nomme commis voyageur et l’aurait poussé à s’occuper de politique.
Il fut député de Namur (tout en gardant sa résidence à Liège) de 1910 à 1932, puis sénateur de Liège à partir de 1932. Rien d’étonnant cependant à ce qu’il ait été, un temps, « namurois d’adoption ». Après la Première Guerre mondiale, il s’était occupé des coopératives d’Andenne et d’Auvelais. En 1931, il participa à la fondation à Namur de la société de crédit immobilier, Le Crédit aux prévoyants.
Il était généralement considéré comme étant « à droite » dans le POB. Il montre par ailleurs souvent qu’il n’aime guère les communistes.
Conseiller communal depuis 1900, il est choisi en 1935 comme échevin puis, en 1940, suite au décès du bourgmestre Xavier Neujean et en l’absence de Georges Truffaut mobilisé, bourgmestre.
Bien que groupe le plus nombreux au conseil communal, le Parti Ouvrier belge ( ancêtre du PS ) avait conservé Xavier NEUJEAN ( libéral ) comme bourgmestre.
Au décès de NEUJEAN, le POB revendiqua le poste de bourgmestre pour Georges TruffAUT. Ce dernier étant mobilisé ne pouvait légalement pas accepter. Le sort tomba donc sur BOLOGNE ! Il avait 69 ans !
2. Le patriotisme de BOLOGNE.
Le patriotisme de Joseph Bologne ne fait aucun doute. Durant la Première Guerre mondiale, il participa, avec son fils, à un réseau de renseignements, raison pour laquelle il fut condamné à mort.
Pour son action, il obtint de nombreuses décorations : Croix de guerre avec palme et citation à l’ordre de l’armée (France), officier de la Légion d’honneur, Ordre de l’Empire britannique à titre militaire, Commandeur de l’ordre de Léopold, Croix civique 1914-1918.
Le Conseil communal hésita à le désigner comme bourgmestre vu son comportement anti-allemand et la résistance anti-allemande exercée par son fils Maurice Bologne en 1914-1918.
On avait peur d’une réaction hostile.
/image%2F2782635%2F20230110%2Fob_c9a9f1_la-wallonie-10-4-1940-p-1.png)
3. Un mandat de bourgmestre source de contestations.
Il a été bourgmestre de Liège d’avril 1940 au 9 novembre 1942, date à laquelle il fut démis de ses fonctions suite à la création par les occupants allemands du Grand Liège auquel il était opposé.
Moins d’un mois après sa nomination, les nazis envahissent la Belgique. Le 12 mai 1940, en fin d’après-midi, le commandant allemand von Forstner pénètre en vainqueur dans l’hôtel de ville. BOLOGNE l’attend de pied ferme avec l'essentiel du collège échevinal, bien décidé à faire son devoir.
Il refuse, dans une lettre reproduite dans la presse clandestine, de donner l’ordre aux policiers communaux de saluer les officiers de la Garde wallonne, comme le lui demandaient les autorités allemandes.
Voici l‘article publié dans Churchill gazette de décembre 1942 :
L'autorité allemande avait donné l'ordre aux policiers et gendarmes liégeois de saluer les officiers de la Garde Wallonne. Le Bourgmestre Bologne avait immédiatement protesté contre cet ordre auprès du Général Keim, commandant 170,E,K. de Liège. Sa lettre de protestation, très digne, qualifiait comme il convient, c'est-à-dire de traîtres à leur pays, les misérables revêtus de la livrée teutonne. Le Général Keim qui partage à l'égard de ces individus - et il le dit - les mêmes sentiments que le Bourgmestre Bologne ne bougea pas. Il paraît que des journaux clandestins publièrent la lettre du Bourgmestre, ce qui mit l'autorité supérieure allemande dans une belle rage. De Bruxelles, ordre fut donné au Bourgmestre de rétracter sa condamnation des traîtres. Comme il s'y refusait, ordre fut, paraît-il, donné à Romsée de le révoquer. Le satrape Romsée adressa alors au bourgmestre de Liège la lettre suivante : „ Bruxelles, le 27 octobre 1942. Monsieur le Bourgmestre, DEMISSION BOURGMESTRE, LIEGE. Les Autorités occupantes m'ont fait savoir qu’il devait être mis fin à vos fonctions de Bourgmestre de Liège à, la date du 1 novembre. A la suite de cette décision, j'avais envisagé de réaliser la constitution du Grand Liège en deux étapes me bornant d'abord à vous désigner un successeur comme Bourgmestre de la Ville de Liège pour la date de la cessation de vos fonctions. La délégation des mandataires liégeois, que j'ai reçue le vendredi 16 octobre, m'ayant informé que les Echevins de la Ville de Liège et les collèges échevinaux de l'agglomération se refusaient à toute collaboration avec le Bourgmestre de Liège-Ville quel qu’il soit, j’ai pris la décision de faire paraître, avant le 1er novembre, l'arrêté de constitution du Grand Liège. Cet arrêté sera suivi à très bref délai par celui portant la désignation du Collège Echevinal de l’ agglomération. J'ai tenu à vous informer personnellement de ces décisions avant d'en assurer la publicité par la voie du Moniteur. Croyez bien, Monsieur le Bourgmestre, que j'ai toujours apprécié votre parfaite correction et le dévouement que vous avez apportés dans l’exercice de vos fonctions, surtout pendant la période difficile que nous vivons. Laissez moi vous en remercier très sincèrement. „ Le Secrétaire Général, „ (S) G. Romsée. » --------------- Comme l'individu qui la signe, cette lettre est un monument d'hypocrisie. Romsée n'est pas méchant, il fait ce qu'il peut. Dieu sait pourtant s'il avait à se plaindre de Bologne qui, à plusieurs reprises, ne s'était pas gêné pour lui mettre son nez dans ses saletés. Romsée joue au rusé, il connaît Mein Kampf. Un jour viendra où des loisirs lui seront donnés pour en approfondir. l'étude sur son cas. En attendant qu'un conseil de guerre ne statue sur son cas. |
Le 28 mai 1940, l’armée belge capitule. Le 22 juin, à son tour, la France capitule.
Pour le Reich, c’est le sommet ! Il est tout puissant: Pays-bas, Belgique, Luxembourg, France sont vaincus ; les Anglais ont réembarqué. Ebranlé, consterné, BOLOGNE fait profil bas, semble décidé à faire la politique du moindre mal. Quoique socialiste, il agit en homme d’ordre.
Ce qui ne pose guère de problèmes au début. Aussi longtemps que l’occupant se montre accommodant, se contentant de voir l’ordre se rétablir et le travail reprendre au retour des réfugiés.
En décembre 1940, les responsables de l’Oberfeldkommandantur locale ne voient donc aucun inconvénient à le laisser présider la « Conférence des bourgmestres de l’agglomération liégeoise » mise en place le 1er octobre, afin de coordonner les services de sécurité civile des 24 communes qui en font partie.
Durant l’Occupation, BOLOGNE refusa régulièrement d’obéir à diverses injonctions des Allemands. Cela ne l’empêcha pas de leur fournir immédiatement une liste de mandataires communistes. Il s’en défendra plus tard, disant que cette liste, tout le monde la connaissait.
A partir de l’été 1941, il commence à poser de façon mesurée des gestes et puis des actes pouvant être interprétés comme une résistance civique aux pressions de l’occupant ou aux prescriptions du secrétaire-général à l’Intérieur, le VNV Gerard Romsée. Ses prises de position, tout en restant mesurées, vont crescendo jusqu’à l’été 1942.
Il protesta contre l’utilisation du Tir communal par les Allemands.
En novembre 1941, il s’éleva contre la décision allemande de faire surveiller les voies ferrées par des citoyens belges réquisitionnés et de placer des otages sur les trains.
En décembre 1941, il refusa de fournir à l’occupant des métaux non-ferreux mais « stratégiques ».
En avril 1942. Alors qu’il est formellement interdit de pavoiser, quand il apprend le décès de TRUFFAUT, il fait monter sur l’hôtel de ville de Liège un drapeau belge muni d’un crêpe noir et dont seule la couleur noire est visible. Il ne faut que quelques heures pour provoquer la réaction de l’occupant, le lieutenant général KEIM. Bologne explique que son acte n’est pas en contradiction avec la loi ; il ne s’agit pas d’un pavoisement dans le sens de l’arrêté allemand, mais uniquement une manière d’exprimer extérieurement le deuil occasionné par le décès d’un de ses collaborateurs. L’ordonnance n’interdit que le pavoisement des maisons avec drapeaux déployés en signe de joie...
KEIM lui répond « Cette interprétation de l’ordonnance est inexacte en droit. L’ordonnance vise le fait de montrer un drapeau, quels que soient l’intention et la manière. Attendu que, après vos déclarations dignes de foi, vous n’avez absolument pas eu l’intention, par votre conduite, de faire une démonstration contre l’autorité occupante, ni voulu exciter la population, je renonce par exception à prendre des mesures contre vous, mais je vous avertis expressément et j’insiste particulièrement sur le fait que, à la moindre contravention de votre part contre les ordonnances de l’autorité occupante, je me verrai obligé de sévir contre vous de la manière la plus sévère »
En mai 1942, il interdit à ses policiers de saluer les officiers de la Garde wallonne, formation paramilitaire instruite, armée et financée par les nazis. Nous en avons parlé plus tôt.
Après qu'il eut refusé de transmettre certains renseignements à l'Occupant, il fut destitué et remplacé par un bourgmestre rexiste désigné par les Allemands.
Il entra dans la Résistance et fit partie du mouvement Wallonie libre.
4. Le plus grave reproche, la participation à la politique antisémite.
/image%2F2782635%2F20230110%2Fob_b16b30_liage-registre-des-juifs.jpg)
D’octobre 1940 à juin 1942, il fait docilement appliquer l’ensemble de la législation antisémite nazie.
C’est son administration qui convoqua les travailleurs juifs qui seront déportés dans des camps de travail du Pas-de-Calais. Faisant même plus que ce qui est demandé par les Allemands : l'inscription à partir de treize ans alors que les Allemands ne l'avaient demandé qu’à partir de quinze ans.
Les diverses communautés juives de l’agglomération liégeoise comptaient 2.560 personnes sur un peu plus de 410.000 habitants. Mais la grande majorité, récemment immigrés et souvent mal intégrés, ne sont pas des citoyens belges. Liège-ville ne comptait que 1 906 Juifs sur161 073 habitants. Les immigrés juifs se concentraient dans un ou deux quartiers tout au plus : près de 60 % des Juifs de Liège-centre, à proximité de la gare du Longdoz ; les autres, à Seraing, ainsi qu'à Bressoux notamment.
Lorsqu’on impose le port de l’étoile, le 9 juin 1942, il fait preuve d’un sursaut. Mais il se borne à suivre le bourgmestre de Bruxelles Jules COELST. Il esquisse un « geste de mauvaise grâce », demandant que ce soit la Kommandantur, « comme à Bruxelles », qui réalise la distribution en question et non ses employés communaux.
On lui reproche aussi que sa police réprima un peu fort les éléments rexistes tentés de manifester publiquement et de façon spectaculaire leur antisémitisme dans les rues de la ville.
/image%2F2782635%2F20230110%2Fob_5ff886_05-le-juif-immuable-coll-eddy-de-bruyn.jpg)
5. BOLOGNE après la Libération.
Il reprit sa charge de bourgmestre après la Libération en octobre 1944. Il fut accusé d'avoir livré aux Allemands des listes de personnalités communistes. Il fut dès lors relevé de ses fonctions et inculpé début 1945.
La défense de Joseph BOLOGE s’articule autour de trois axes :
* son patriotisme en 1914-1918 ;
* ses nombreuses oppositions aux décisions de l’occupant de 1940-1942, y compris de lui fournir « des listes de francs-maçons et de juifs », qui entrainent sa destitution ;
* le fait que ses instructions au commissaire de police conduisaient à donner les noms des mandataires publics communistes, soit trente à quarante personnes, « déjà connues de l’occupant », et non la liste de 186 noms effectivement transmise et dont il n’aurait découvert l’existence qu’après la guerre.
Il obtint finalement un non-lieu en 1946. Mais toute cette affaire marqua la fin de sa carrière politique.
Il avait été chargé de la préparation du Congrès national wallon qui devait se tenir à Liège les 20 et 21 octobre 1945. Il devait même en être le président. Les circonstances ne le permirent pas. Il continua cependant à militer à Wallonie Libre dont il devint le Président d'honneur en 1945.
6. Quelques mots sur « Wallonie Libre ».
La légende du mouvement « Wallonie libre » veut que le mouvement soit né suite à l’Appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle. Ce n’est pas tout-à-fait exact. Certes l’idée de résistance est très tôt affirmée (2 juin). La référence à De Gaulle est présente dès l’été 1940. Durant toute la période d’occupation, « Wallonie libre » s’est structurée en mouvement de résistance par la presse clandestine, par les renseignements, l’aide aux personnes et les filières clandestines, tout en préparant l’opinion à l’émergence d’un État wallon pour l’après-guerre.
Liège occupe une place centrale au sein de Wallonie Libre.