TOUJOURS DE L'INTERÊT POUR LE PANTALON ROUGE GARANCE.
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1. Le pantalon rouge garance et son histoire continuent à passionner.
Contrairement à ce que nous pensions, le problème du « pantalon rouge garance » continue à intéresser le public et à susciter des polémiques.
Ainsi, on peut lire, dans la revue MARIANNE du 24 décembre 2021, noyées dans un long article de Guy KONONICKI, les lignes suivantes :
« ...Les généraux continuaient à parader, l'armée française avait les plus beaux uniformes du monde et la meilleure cavalerie. Le pantalon rouge garance des fantassins était magnifique dans les défilés. Il se voyait de loin, ce qui fit le bonheur des Allemands en 1914. Les soldats étaient autant de cibles, si bien qu'il fallut dans l'urgence concevoir et fabriquer des tenues plus discrètes, ce qui mobilisa pendant deux années des nuées d'officiers et de fonctionnaires, puis des milliers d'ouvrières, pour finalement rhabiller des millions de soldats en bleu horizon... ».
Les soldats français étaient devenus une cible trop facile pour les mitrailleurs allemands qui les repéraient de loin.
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2. Idée fausse : il ne fallut pas attendre 1914 !
Contrairement à ce que l'auteur dit, et contrairement aussi à la mémoire populaire, il n'avait pas fallu attendre 1914 pour se rendre compte du problème.
La tenue rouge garance, parfaitement visible de loin, permettait, dans les conflits du XIX° siècle, aux tirailleurs français d'éviter de tirer contre ses propres compagnons. Suite aux missions d’observations sur les théâtres de conflits du début du XX° siècle, il apparaissait que ce n'était plus le cas.
L’État-major français en était déjà conscient depuis 1911 au moins. La tenue rouge avec son manque de discrétion n’était plus adaptée à un armement ne produisant plus autant de nuages de poudres sur les champs de batailles.
Dès 1901, le ministre Messimy, sensibilisé par le général anglais Wilson, voulait faire adopter un uniforme moins voyant. On traîna. On procéda finalement à des essais de tenues moins voyantes. En 1911, les essais couleur réséda n’ont pas convaincu, cette teinte, appelée « caca d’oie » n’a pas plu. La presse s’en était mêlée et s'était élevée contre l'abandon du rouge garance traditionnel.
Dans L’Illustration, on trouve cet article dont le but était de ridiculiser cette idée :
« Il serait nécessaire d’imaginer pour les soldats une tenue « caméléon » dans une absurde tentative pour harmoniser les uniformes avec les aspects si changeants et variés de la nature. »
Pourtant, la tenue de combat actuelle, universellement adoptée, est justement cette tenue « caméléon » dont se moquait L'Illustration.
Le pantalon rouge garance est resté dans les mémoires collectives comme étant un symbole de l’impréparation française à la guerre moderne. Mais il ne fallut pas attendre la guerre pour adopter le principe d'un changement de tenue. Le 9 juillet 1914, le principe d’une teinte plus discrète fut votée. Malheureusement, trop tardivement.
C’est le directeur de la Manufacture BALSAN, Maurice ALLAIN, qui mit au point en août 1914 le drap “bleu horizon“. Il sera adopté par le Ministère de la Guerre le 17 aout 1914, et va habiller les “poilus“ pendant toute la guerre de 14-18.
Il fallut attendre 1915 pour que l’uniforme gris-bleu horizon ( riche en indigotine artificielle ) soit généralisé et que le képi rouge soit remplacé par un casque d’acier.
Le bleu horizon est un mélange de laine blanche, bleu foncé et bleu clair destiné notamment à pallier la pénurie de l'approvisionnement en teintures chimiques allemandes. La coupe des uniformes est également revue avec l'aide des grands noms de la mode parisienne.
3. Un motif de l'opposition au changement, l'esprit revanchard
Un autre motif du refus est aussi avancé. La presse et quelques politiciens poussés par l’esprit vengeur résultant de la défaite de 1870 voulaient que les « feldgrau » allemands soient vaincus par les Français vêtus des mêmes uniformes rouge et bleu du siècle précédent. L’aveuglement ambiant était symbolisé par un autre ministre de la guerre, M.Étienne qui avait déclamé « Le pantalon rouge c’est la France ».
4. Autre idée fausse : Refus du changement pour raison économique.
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Un mythe tenace tient le Midi, plus particulièrement le département du Vaucluse, comme responsable de cet anachronisme. Le drap militaire teint en bleu et en garance aurait alimenté les puissantes industries textiles du midi !
Ainsi, en 1964 on peut lire: « En France on a eu l’aberration de conserver le pantalon rouge pour sauver la culture de la garance dans les départements méridionaux.
En 1978 on précise : « Si nos pauvres gars devaient encore porter ces pantalons rouges qui en faisaient des cibles parfaites, c’est à cause des paysans du Midi. Car les producteurs provençaux de garance ont fait pression sur le gouvernement et l’armée afin de ne pas perdre un gagne pain des plus lucratifs..»
Lors des commémorations du centenaire de la Guerre de 14-18, on pouvait encore lire sur internet :« C’est pour sauver la culture de la garance, une plante cultivée dans les départements méridionaux (…) que les soldats français seront ainsi vêtus jusqu’en 1915 de l’éclatant pantalon rouge.»
Le rouge garance vient, à l'origine, d'une teinture, extraite de la garance des teinturiers, une plante de la famille des rubiacées cultivée et récoltée dans le Midi. La garance des teinturiers était une plante vivace cultivée pour la teinture rouge extraite de ses rhizomes.
Mais la principale substance colorante de la plante, l'alizarine, a pu être synthétisée en 1869. Produite industriellement en grande quantité, elle a fait fortement chuter les coûts et conduit à la disparition de la culture de la plante en France.
Donc, prétendre qu'on a maintenu l'uniforme rouge garance pour protéger l'économie d'une région est faux. La production de l'alizarine par synthèse a entraîné la ruine des producteurs français. Les derniers moulins à garance ont cessé leur activité en Vaucluse vers 1885, soit près de 30 ans avant la guerre.
Ce qui est aussi tu : la teinture rouge garance de l'uniforme d'infanterie français est fabriquée par l'industrie chimique allemande. L'attachement de l'opinion pour le pantalon garance, et l'inefficacité des explications expliquent que les autorités et la presse ne préciseront jamais qu'un symbole du patriotisme se pare des couleurs des usines allemandes.
5. Remplacement par le bleu horizon.
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L’adoption d’un nouvel uniforme plus résistant aux intempéries et adapté aux nouvelles formes de combat est entérinée en juillet 1914. Il devait être de couleur grise grâce à l’adoption « d’un drap tricolore » composé de fils bleu, blanc et rouge.
Mais la production de ce nouvel uniforme est rendue difficile par l’éclatement de la guerre ( les grandes manufactures lainières se trouvent dans les zones occupées et des difficultés dans l’approvisionnement des colorants voient le jour…). Il faut un plan de secours pour remplacer les milliers d’uniformes rapidement usés par la violence des combats. Une nouvelle tenue bleu clair, dit bleu horizon, est officiellement adoptée en août 1915. Elle ne sera généralisée qu’à la fin 1916.
Toujours attachés à l’esthétisme de l’uniforme, les militaires français font appel à un couturier pour concevoir cette nouvelle tenue : Paul Poiret.
Patriotiquement, la presse s'efforça de populariser l'uniforme « bleu horizon ». L'expression devenue insensiblement « bleu horizon » est courante en septembre 1915.
Le 16 janvier 1915, L'Illustration, qui s'était auparavant distingué par son opposition à l'abandon du rouge garance, désigne la couleur de la tenue des soldats comme « couleur d'horizon ».
Le 26 janvier 1915, Le Matin assimile cette couleur au « bleu horizon ».
En février 1915, Le Temps compare les tenues ancienne et nouvelle : « On voit le drap foncé des capotes anciennes voisiner avec l'azur clair de la nouvelle tenue « couleur d'horizon ».
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Cette expression possède un caractère national et semble faire écho à la ligne bleue des Vosges. L'expression « ligne bleue des Vosges » a été empruntée au testament de Jules Ferry qui, député puis sénateur pour les Vosges, demandait à être enterré dans sa ville natale de Saint-Dié : « Je désire reposer dans la même tombe que mon père et ma sœur, en face de cette ligne bleue des Vosges d'où monte jusqu'à mon cœur fidèle la plainte touchante des vaincus ».
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