LA MUSIQUE ET LES CAMPS :
EXEMPLE DE DACHAU !
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1. Le Chant de Dachau, conditions et création.
On jouait, et parfois on composait, de la musique dans les camps. Mais, la plupart du temps, c’était une musique asservie, détournée de toute humanité. Les nazis cherchaient à manipuler, intimider et endoctriner les prisonniers.
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Dans l’univers concentrationnaire, les formes de musique variaient de camps à camps. Elles dépendaient du mode d’encadrement des camps : soit divertissement pour des Nazis amateurs de l’art allemand ; soit outil de propagande, de torture ou d’humiliation ; soit outil de domination. Martelée, contrainte, hurlée dans les hauts-parleurs. La musique faisait partie intégrante de la "machine de mort".
Les SS faisaient chanter les prisonniers sous de multiples formes: en chœur sur la place d’appel durant des heures ; dans les marches sur le chemin du travail ou au retour ; individuellement durant l’appel pour avilir.
Dans les camps, la musique était avant tout destructrice. Plus sournoisement, les nazis autorisaient la musique dans le but de soulager les tensions et d’empêcher les déportés de se révolter.
Au départ, stupidement, les nazis pensaient que les détenus, alors tous allemands, finiraient par adopter la situation. C’était conçu comme moyen d’endoctrinement. En plus d’une musique « patriotique », on utilisait de la musique de marche comme la Marche des grenadiers, Fridericus Rex, mais aussi des enregistrements de chants ouvriers comme Brüder, zur Sonne, zur Freiheit (« Frères, vers le soleil, vers la liberté »), un chant détourné par les nazis.
En revanche, c’était aussi un moyen de résistance, grâce à la création d’œuvres musicales composées par des prisonniers. L’exemple le plus connu est Le Chant des Marais. Mais ce n’est pas le seul.
Le Chant de DACHAU appartient à ce registre. Il fut écrit en 1938, donc bien avant la guerre et la présence d’internés de pays occupés. S’y trouvaient seulement des détenus allemands ou autrichiens. Il est d’une qualité littéraire et musicale indéniable. La situation dans les camps y est décrite avec réalisme.
Le Chant de Dachau, fut composé, pour les paroles, par Jura Soyfer et mis en musique par Herbert Zipper.
Au printemps 1938, Herbert Zipper avait été arrêté par la police Autrichienne. Remis entre les mains des SS, il est déporté au camp de Dachau près de Munich. Il y crée avec des détenus musiciens de la Philharmonie de Munich, un petit orchestre clandestin. Avec du bois et du métal récupéré, ils arrivent à fabriquer 11 instruments de fortune.
L'orchestre joue pour les autres prisonniers les dimanches après-midi. Il comptera jusqu'a 65 musiciens.
Chant de DACHAU
Des barbelés, chargés de mort,
s'étendent autour de notre monde.
Alors un ciel sans pitié
envoie du givre et des coups de soleil.
Loin de nous sont toutes les joies,
loin de la maison, loin des femmes,
quand nous allons silencieusement au travail,
des milliers à l'aube.
Mais nous avons appris la devise de Dachau
et sommes devenus aussi durs que l'acier.
Soyez un homme, camarade.
Restez humain, camarade.
Faites tout le travail, emballez le camarade.
Parce que le travail, le travail rend libre.
Devant la bouche du canon,
nous vivons jour et nuit.
La vie devient une leçon pour nous ici,
plus difficile que nous ne le pensions.
Plus personne ne compte les jours et les semaines
certains ne l'ont pas fait depuis des années.
Et tant sont brisés
et ont perdu la face.
Mais nous avons appris la devise de Dachau
et sommes devenus aussi durs que l'acier.
Soyez un homme, camarade.
Restez humain, camarade.
Faites tout le travail, emballez le camarade.
Parce que le travail, le travail rend libre.
Faites glisser la pierre et tirez le char,
aucune charge n'est trop lourde pour vous.
Qui tu étais autrefois,
tu ne l'es plus aujourd'hui.
Enfoncez la bêche dans le sol,
creusez-y profondément votre compassion,
et dans votre propre sueur
vous deviendrez acier et pierre.
Mais nous avons appris la devise de Dachau
et sommes devenus aussi durs que l'acier.
Soyez un homme, camarade.
Restez humain, camarade.
Faites tout le travail, emballez le camarade.
Parce que le travail, le travail rend libre.
Un jour la sirène annoncera;
jusqu'au dernier appel nominal.
Dehors, là où nous nous retrouvons,
tu es, camarade sur place.
La liberté se moquera de nous,
avançons avec un nouveau courage.
Et le travail que nous faisons,
ce travail, ça va être bien.
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On y décrit la vie carcérale, une réalité quotidienne et cruelle dans un milieu encerclé de barbelés. Le refrain insuffle aux détenus du courage pour combattre le désespoir. Paradoxalement, la devise des nazis « Le travail rend libre » est reprise et détournée. Juste retour des choses, les nazis étaient passés maîtres en ce domaine.
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2. La musique à DACHAU : une longue histoire.
Le premier ensemble musical fut formé par Herbert Zipper en 1938, d’abord clandestinement, puis toléré par les autorités du camp.
En 1940 un groupe de détenus tchèques obtinrent l’autorisation de constituer un orchestre de salon, qui donnait des concerts de musique légère pour divertir les kapos et les SS.
Au début de 1941, le commandant du camp décida la création d’un véritable orchestre, dont le répertoire intégra rapidement quelques classiques favoris comme la deuxième Rhapsodie hongroise de Liszt, les ouvertures d’Orphée aux Enfers d’Offenbach, de La Pie voleuse de Rossini, ou de Poète et Paysan de Suppé.
Parallèlement à ces formations protégées par le commandant du camp, existait un orchestre à cordes dirigé par Piet van den Hurk - chef de l’orchestre de la Radio chrétienne hollandaise - au programme duquel figuraient des œuvres de Giordani, Haendel, Mozart, Beethoven et Grieg, et qui donna également le Concerto pour violon de Mendelssohn sous un faux nom de compositeur pour éviter la censure des autorités du camp.
3. Autres chansons créées dans les camps.
1. La rivière Bug : chant des déportés juifs roumains vers l'Ukraine.
2. Treblinka : chant de ghetto de Biala Podlaska.
3. Chanson de Dachau : du poète autrichien Jura Soyfer, interné à Dachau et mort à Buchenwald en 1939.
4. Les pierres vivantes : texte de 1941. Au camp de Mathausen, dans les carrières, la poussière était telle qu'on ne distinguait plus les détenus des pierres.
5. O toi, Buchenwald : texte de 1944. L'auteur a été pendu en avril 1945 à Buchenwald.
6. Ne me réveillez pas : chanté par les Tsiganes à Auschwitz.
7. Chanson d'amour du KZ : écrite en 1943 au camp d'extermination de Majdanek par Sofia Karpinska.
8. Berceuse pour mon fils dans le crématoire : écrite par Aaron Liebeskind la nuit suivant l'exécution de sa femme et de son fils à Treblinka.
9. La mère brûlée
10. Chanson tzigane : écrite par les Juifs du Ghetto de Lodz à l'arrivée des Tziganes massacrés peu après.
11. Mère, envoie une bénédiction à ton fils : chanson yiddish des déportés juifs de Cracovie en 1941.
12. Dans la forêt de Sachsenhausen : chanson de 1936 faisant suite à des représailles après l'évasion de sept détenus.
4. Chanson créée après la guerre par ARAGON.
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Louis ARAGON, dans son poème « Chanson pour oublier Dachau » a rappelé avec beaucoup de délicatesse et de profondeur, toute la détresse et la douleur intime de ceux qui sont revenus d’un enfer qui les a rendus différents et transformés à jamais. Ce poème a su dire l’indicible. Aragon monte l’impossibilité d’oublier tout les sauvageries qui s’est passé à Dachau.
Les morts sont comparés à des dormeurs que les vivants ne doivent pas réveiller. Le poème commence par « Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs » pour se terminer par une apostrophe aux vivants en marche : « Oh vous qui passez/ Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs ».
Chanson pour oublier Dachau
Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs
Il n'y aura pas à courir les pieds nus dans la neige
Il ne faudra pas se tenir les poings sur les hanches jusqu'au matin
Ni marquer le pas le genou plié devant un gymnasiarque dément
Les femmes de quatre-vingt-trois ans les cardiaques ceux qui justement
Ont la fièvre ou des douleurs articulaires ou
Je ne sais pas moi les tuberculeux
N'écouteront pas les pas dans l'ombre qui s'approchent
Regardant leurs doigts déjà qui s'en vont en fumée
Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs
Ton corps n'est plus le chien qui rôde et qui ramasse
Dans l'ordure ce qui peut lui faire un repas
Ton corps n'est plus le chien qui saute sous le fouet
Ton corps n'est plus cette dérive aux eaux d'Europe
Ton corps n'est plus cette stagnation cette rancoeur
Ton corps n'est plus la promiscuité des autre
N'est plus sa propre puanteur
Homme ou femme tu dors dans des linges lavés
Ton corps
Quand tes yeux sont fermés quelles sont les images
Qui repassent au fond de leur obscur écrin
Quelle chasse est ouverte et quel monstre marin
Fuit devant les harpons d'un souvenir sauvage
Quand tes yeux sont fermés revois-tu revoit-on
Mourir aurait été si doux à l'instant même
Dans l'épouvante où l'équilibre est stratagème
Le cadavre debout dans l'ombre du wagon
Quand tes yeux sont fermés quel charançon les ronge
Quand tes yeux sont fermés les loups font-ils le beau
Quand tes yeux sont fermés ainsi que des tombeaux
Sur des morts sans suaire en l'absence des songes
Tes yeux
Homme ou femme retour d'enfer
Familiers d'autres crépuscules
Le goût de soufre aux lèvres gâtant le pain frais
Les réflexes démesurés à la quiétude villageoise de la vie
Comparant tout sans le vouloir à la torture
Déshabitués de tout
Hommes et femmes inhabiles à ce semblant de bonheur revenu
Les mains timides d'enfants
Le cœur étonné de battre
Leurs yeux
Derrière leurs yeux pourtant cette histoire
Cette conscience de l'abîme
Et l'abîme
Où c'est trop d'une fois pour l'homme être tombé
Il y a dans ce monde nouveau tant de gens
Pour qui plus jamais ne sera naturelle la douceur
Il y a dans ce monde ancien, tant et tant de gens
Pour qui tant de douceur est désormais étrange
Il y a dans ce monde ancien et nouveau tant de gens
Que leurs propres enfants ne pourront pas comprendre
Oh vous qui passez
Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs