L’opération GUTT ne se fit pas sans remous.
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1. L'Opération GUTT traumatisa considérablement la population belge.
L'Opération GUTT exigea de la part de ceux qui en assurèrent l'exécution du sang-froid, du dévouement, une bonne capacité d’analyse, de sérieuses connaissances financières et économiques et un esprit de décision dont on peut, aujourd'hui, difficilement mesurer l’importance.
On s’en doute, une opération pareille ne pouvait pas se faire sans critiques ni remous. Les oppositions furent parfois virulentes. La Libre Belgique, notamment, se montra particulièrement active avec le recours à un brillant économiste : Fernand BEAUDHUIN.
La position de la Belgique en 1945 est assez favorable: en compensant son déficit commercial vis-à-vis des États-Unis par d’importants surplus en Europe et par les rentrées en devises que lui assure le règlement des accords de prêt-bail et d’aide mutuelle, elle réussit, dès 1946, à stabiliser ses réserves de change.
Le redressement économique lui-même est parfois contesté. Etait-il dû uniquement, ou essentiellement, à l'Opération GUTT ?
Hubert Ansiaux, Directeur de la Banque Nationale en 1945, écrivit alors que le franc belge était devenu « la troisième monnaie du monde, après le dollar USA et le franc suisse ».
Principal pays créditeur d’Europe dans les années 1945 et suivantes, la Belgique joua un rôle crucial dans le redémarrage économique du continent, en étant capable de négocier des accords de paiement.
Pourtant, son influence continue parfois à être contestée. Cette opération est encore présentée comme la plus brillante réforme monétaire de l'immédiat après-guerre, que même le Général de Gaulle n'a pas osé imposer à son pays. Où trouver le juste équilibre d'appréciation ?
Fernand Baudhuin, qui s’y était violemment opposé, continua à lui refuser tout crédit affirmant, en 1946, qu'en l'absence de toute mesure, la tendance à l'inflation aurait été faible et qu'on aurait dû se borner à reprendre les billets thésaurisés par une opération d'échange, pour en identifier les détenteurs et qu’on aurait dû s'abstenir de bloquer les comptes bancaires. Mais Baudhuin reste isolé.
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2. Les attaques contre la personne de Camille GUTT.
Faisons d’abord un sort aux attaques ad hominem, dirigées contre la personne de Camille GUTT.
On doit sans douter, l’origine juive de Camille GUTT fit l’objet d’insinuations. A l’époque, personne n’aurait osé le faire frontalement. Etait notamment évoquée la modification du nom de famille en 1922 : GUTTENSTEIN devenant GUTT. C'était pour abandonner la consonnance germanique. La famille GUTT ne fut pas la seule...la famille royale montra l’exemple en troquant « de Saxe-Cobourg-Gotha » en « de Belgique ».
Il était facile d’insinuer que c'était pour effacer l'origine juive. Je peux témoigner que dans les années 60, cette rumeur courait encore !
GUTT était le seul ministre du Gouvernement en exil d’origine juive. Or, il était de confession protestante. Il ne mettait jamais en avant ses origines. C’est à peine s’il semblait entretenir des contacts avec l’un ou l’autre membre de la communauté juive.
Pour GUTT, comme d'ailleurs pour les autres ministres, l'exil à Londres, fut parfois assimilé à une simple fuite pour se mettre à l'abri. Pourtant la famille GUTT paya un lourd tribut à la lutte contre le nazisme, deux fils tués pendant la guerre : Jean-Max, dans un accident d’avion en août 1941, et François, abattu près de Caen, en juillet 1944. Le troisième fils, Etienne s’engagea à son tour dans la Royal Air Force et termina commandant de réserve à la Force aérienne.
La famille GUTT n’a donc pas particulièrement « profité » de la guerre et ne s’est pas réfugiée à Londres par facilité.
3. Les critiques entendues.
Je suis né en 1944. J'ai été élevé dans un milieu de petits paysans qui n'avaient pas pu profiter de la situation et s'enrichir grâce au marché noir. J’ai entendu reparlé longtemps de l'Opération GUTT, jusque dans les années 60. J'ai entendu divers jugements ou commentaires, en sens opposés.
Pour certains, c’était simplement l'exécution d'une justice immanente : les profiteurs étaient punis, leurs bénéfices indus étaient stérilisés, un certain temps du moins ! Une expression courait quand on parlait de profiteurs, parfois simplement supposés : « Ils ont dû remettre leur argent à GUTT ».
Pour caractériser l’opinion publique, les propos de l’économiste français Edgard Allix au sujet des profiteurs de 14-18 pourraient être repris :
« La guerre, si elle a été source de ruines, a été aussi une source d’enrichissements imprévus. Le contraste choquant entre la situation de ses victimes et celle des privilégiés auxquels elle a procuré des profits supplémentaires ne pouvait manquer d’impressionner l’opinion publique ».
Pour d'autres, il n'était question que de spoliation. L'Opération GUTT les privait, disaient-ils, de cinq ans de travail. Les dernières tranches de l’Emprunt de l’Assainissement Monétaires bloqué sur des livrets d’épargne ne furent libérées que fin 1971.
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4. Critiques relatives au déroulement des opérations.
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L'exemption de certains établissements, notamment religieux, permit à certains avoirs d'échapper au blocage. La Mère supérieure d'un petit Carmel écrivit à Gutt que, pendant les quelques jours que durèrent les déclarations, le Carmel avait récolté environ 10 millions de francs. Ces millions venaient de personnes qui n’osaient pas déclarer ces fonds craignant d’avoir à répondre de leur provenance. Plutôt que de brûler les billets acquis par les trafics illicites, ils avaient préféré les donner aux couvents. La Mère promettait de leur assurer par ses bénédictions, une place au paradis.
Le paradis était-ce bien la seule chose promise ? N’y eut-il pas des arrangements ultérieurs ? On dit que certains proposèrent à des monastères ou à des œuvres caritatives de faire un don important… à condition d’en récupérer la moitié environ sous forme de nouvelles factures.
Ce qui fit le plus débat n'était pas l'échange forcé des billets mais la limite de 2000 francs par ménage et le blocage du surplus. Les petits avoirs n'étaient pas exonérés. Ce fut le principal reproche du grand public. De plus, la liberté accordée à 10% des comptes en banque était aussi critiquée. En 1944, les classes populaires n'avaient pas de comptes en banque.
Très peu de temps plus tard, l’arrêté-loi du 28 octobre libéra la somme de 3.000 francs par déclaration et par dépôt. Cela ne fit qu'attiser les mécontentements, rien n'était prévu pour les plus pauvres. Le délai ( quatorze jours seulement après le blocage ) jetait une ombre sur le principe de l’opération.
Lors de l’établissement des déclarations, il y eut aussi des positions divergentes. Comment définir ce qu’était un ménage ? A l’époque les jeunes ménages et les parents vivaient ensemble. Les jeunes qui travaillaient vivaient avec leurs parents.
Le rapport au Régent de l'arrêté du 6 octobre avait recommandé aux ménages de ne faire qu'une déclaration pour deux pour alléger la tâche de l'administration. Ce n’était qu’une recommandation. Ceux qui avaient suivi ce « conseil » furent défavorisés par rapport à ceux qui avaient fait plusieurs déclarations. Ce que l’Arrêté-loi n’interdisait pas.
Des échappatoires pour contourner cette loi ont été recherchées et trouvées : acheter en masse des timbres et des timbres fiscaux, acheter autant de tickets de trams de dix trajets que possible, acheter n'importe quoi de la valeur ( les prix de la fourrure, des peintures et des bijoux montent en flèche ), échanger des billets de banque au nom de ceux qui ont trop d'argent moyennant compensation...
5. La manifestation des classes moyennes.
Le 13 novembre, les classes moyennes défilent depuis la Place Fontainas jusqu'au Ministère des Finances aux cris de : « Nous voulons le déblocage des petits avoirs» - «Que M. Gutt prenne l'argent des collaborateurs industriels », et l’inévitable «A bas Gutt».
Une délégation fut reçue par le ministre, qui promit de débloquer rapidement les avoirs des petits commerçants à concurrence de 40% sur présentation de documents justificatifs ainsi que, dans certains cas, un déblocage total après examen de la situation des intéressés. Cette mesure ne les contenta pas: ils continuèrent de réclamer le déblocage des avoirs inférieurs à 5.000 francs.
Les ouvriers et les petits paysans avaient vu leur pouvoir d'achat chuter fortement pendant la guerre. Pour eux, l’opération ne posait pas trop de problèmes. La mesure les affectait beaucoup moins et compensait l'enrichissement injuste perçu sur le marché noir, dont ils furent les victimes.