Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

awans-memoire-et-vigilance.over-blog.com

awans-memoire-et-vigilance.over-blog.com

Site relatif au devoir de mémoire. Concerne la FNC, la FNAPG et la CNPPA pour AWANS, BIERSET. Concerne les combattants, les résistants, les prisonniers, la guerre, l'armistice, la libération. Reportages sur les commémorations, les Monuments aux Morts, la Fête Nationale. Discours 11 novembre, 21 juillet et autres.


Belgique 1943-1944: l'Opération Gutt. Quelques mots sur Camille Gutt.

Publié le 14 Septembre 2021, 18:48pm

Bien oubliée aujourd'hui, l'Opération GUTT en 1944.

A la fois une prouesse et un cauchemar.


 

1. Opération tombée dans l’oubli.

Cette opération qui fit grand bruit à l'époque et suscita, alors, bien des débats est bien oubliée maintenant.

Les derniers à s'en reparler furent, en 2002, les guichetiers de 1944 qui firent le rapprochement avec ce qu'ils avaient vécu à l'époque. Les derniers en vie sont maintenant centenaires !


 

2. La hantise du gouvernement en exil : la situation monétaire du pays.


 

Dès 1941, le gouvernement belge, basé à Londres, se mit à réfléchir aux mesures monétaires à prendre après la libération. Il avait la hantise de retrouver des finances publiques délabrées, une inflation non maîtrisable, un niveau des prix proche de celui du marché noir. En bref, de trouver une situation proche de celle vécue par l'Allemagne après 1918.


 

Ce gouvernement comprenait Pierlot ( premier ministre ), Camille Gutt ( ministre des finances ), Paul-Henri Spaak ( ministre des affaires étrangères ) et De Vleeschauwer ( ministre des colonies ).

Les discussions gouvernementales eurent lieu sous la direction de Camille Gutt en coopération avec des représentants de la Banque Nationale.


 

Tous pensaient que le financement du coût de l’occupation ainsi que l’abus du système international de compensation par l’Allemagne nazie avaient fait fortement augmenter l’offre monétaire. Le risque était grand que les prix augmentent considérablement après la guerre. Il fallait imaginer un moyen d’éliminer ce surplus de monnaie lorsque la libération arriverait afin d’obtenir un équilibre stable entre l’offre de monnaie, les prix et les salaires.


 

3. Le plan fut orchestré dès 1943.


 

Il fut décidé de lancer l’opération Gutt ( du nom de son inventeur ) que l’on peut résumer en 4 étapes majeures :

1° étape : fixer le taux de change pour éviter la spéculation contre le franc. Après de longues discussions, le gouvernement dévalua le 1er mai 1944 le franc de 30,29% par rapport à la valeur de la livre sterling d’août 1939, et de 48,65% par rapport au dollar.

2°étape : mettre en place une réforme monétaire. En octobre 1944, tous les billets d’une valeur égale ou supérieure à 100 francs perdaient leur cours légal et devaient être déclarés. Un maximum de 2000 francs par ménage pouvait être échangé contre de nouveaux billets. Au delà, l’argent était bloqué dans des comptes spéciaux au nom de leurs propriétaires. Les billets de 20 et 50 francs restaient valides pour "assurer un minimum de circulation".

Les Belges ont eu alors une petite semaine (jusqu'au 13 octobre) pour déposer les anciens billets dans un bureau officiel.

Il y eut un arrangement similaire pour le capital des individus privés et des entreprises privées. L’ensemble des mesures de cette deuxième étape fit diminuer l’offre de monnaie de 165 milliards à 57 milliards. En plus des retraits ordinaires, le montant fut porté à 1.000 francs par personnes employées pour les chefs d'entreprise.

Les prix du marché noir atteignaient environ dix fois le niveau de ceux d’avant-guerre. Ces mesures mirent fin à ces abus.

3° étape : assouplissement et consolidation des mesures déflationnistes : 40% de l’argent bloqué sur les comptes spéciaux va être graduellement libéré en accompagnement de la croissance de l’économie. Les 60% restants seront transformés en titres d’emprunt à 3,5% au gouvernement afin qu’il puisse rembourser ses dettes de guerre. Ce fut l'Emprunt de l'Assainissement monétaire.

4° étape : une réforme fiscale. Le projet de Gutt était d’introduire une taxe élevée sur l’augmentation des avoirs entre mai 1940 et septembre 1944. Cette augmentation devait se baser sur le cadastre des terrains et sur le nouvel inventaire des valeurs mobilières. Le projet rencontra de fortes résistances et cela mena à la chute du gouvernement Pierlot en février 1945. Le plan fut finalement adapté et mis en œuvre par Franz de Voghel, ministre des finances depuis août 1945.


 

4. Conséquences visibles:


 

Grâce à l’opération Gutt, les prix finirent par se stabiliser même si ce fut à un niveau considérablement plus élevé que prévu. Le revenu réel des salariés en bénéficia puisque les Conférences du Travail permirent aux salaires de continuer à augmenter.


 

Les quelques années qui suivirent la libération sont connues comme le miracle économique belge.


 

Les titres au porteur durent être remplacés par des nouveaux titres ou être régularisés par l'Institut Belgo-Luxembourgeois du Change. Les nouveaux titres devaient porter la mention: "titre créé après le 6 octobre 1944" . Tous les titres ne portant pas cette mention étaient sans valeur boursière. Des exceptions, comme par exemple, les titres de faible valeur ou les patrimoines de certaines ASBL comme les ordres religieux ou les organisations caritatives. Exceptions qui firent longtemps jaser !

La France refusa de suivre l'exemple de la Belgique. Exemple qui fit même l'objet de moqueries de la part de de Gaulle. Il en résulta une inflation impossible à maîtriser jusqu'en 1958 et une dépréciation constante de la monnaie ( six dévaluations jusqu'en 1958 ). La Belgique se releva de la guerre beaucoup plus rapidement que la France,

5. Opération qui nécessita un extraordinaire effort logistique, législatif et administratif.


 

Les principaux arrètés-lois furent publiés au Moniteur le 7 octobre 1944, soit un mois après la libération de la plus grande partie du territoire Belge.

Trois millions de formules furent nécessaires pour la déclaration des avoirs. Elles étaient prêtes, imprimées à Bruxelles dans les installations de la Banque Nationale, en dépit de la présence allemande.

Le gouvernement en exil avait commandé les nouveaux billets auprès du fournisseur de la Banque d'Angleterre dès 1943. Ils furent livrés au printemps 1944.

Mais comment les acheminer ? Comment transporter 120 tonnes de billets de banque à travers la Manche quand tous les bateaux sont réquisitionnés pour soutenir et équiper les troupes qui combattent sur le continent ? Gutt suivit la suggestion d'un officier américain et utilisa à cette fin deux barges amphibies qui avaient servi au débarquement. Les billets voyagèrent ensuite en train de Caen vers Rouen, Liège et finalement Bruxelles.


 

6. Opérations dans les bureaux chargés des déclarations et des échanges.

Les agences de la Banque Nationale, les bureaux de poste, des agences bancaires. Il ne reste, à notre connaissance, aucune relation du travail accompli par le personnel.

Aucune trace non plus des incidents éventuels sauf les souvenirs transmis oralement par les guichetiers et par nos parents.

Ainsi, les bureaux chargés de l'échange étaient protégés par la gendarmerie. On signale le cas du bureau de poste de Bousval qui fut protégé par des Résistants armés. Fait assez curieux quand on sait qu'ils auraient dû, en principe, déposer leur armement.

On signale aussi le cas de personnes rôdant près des bureaux avec des mallettes pleines de billets et qui proposaient à ceux dont le montant à échanger était inférieur aux fameux 2000 francs d'arrondir la somme moyennant commission.

On raconte la cas d'une personne qui avait tapissé sa maison de billets de banque plutôt que de déposer et de les voir bloqués.


 

Quelques mots sur Camille Gutt.


 

Camille Gutt est le fils de Max Guttenstein, un ressortissant juif originaire d’Autriche-Hongrie établi en Belgique en 1877. La final « -enstein » disparaît du patronyme car considéré comme trop germanique. Ce qui n’était pas bien vu à l’époque.

Il est né le 14 novembre 1884 à Bruxelles et y décédé le 7 juin 1971.

Il effectua des études de droit à l’Université Libre de Bruxelles. Il épousa, en 1906, la fille du bourgmestre libéral de Saint-Josse-ten-Noode, Charles Frick. Ce qui lui ouvrit l’accès au monde de la presse, d’abord à La Chronique ( propriété de son beau-père ) puis à La Gazette et à L’Eventail. Avant d’entrer au Compte-rendu analytique de la Chambre. Des milieux procghes de la famille libérale.


 

Volontaire de guerre en 1914. Démobilisé, il se retrouve à Londres à la Commission du Ravitaillement dirigée par Georges Theunis. A l’initiative de ce dernier, Gutt se retrouve au sein de la délégation belge pour la Commission des Réparations. Il devint chef de cabinet de Theunis lorsque ce dernier fut nommé Premier ministre (1921-1925). 


 

A la chute du cabinet Theunis, il fut nommé adjoint au Trésor chargé de négocier avec les Américains un emprunt de stabilisation monétaire. Une bonne expérience pour la suite !


 

En novembre 1934, il est nommé Ministre des Finances avant de connaître une traversée du désert jusqu‘en 1939. A ce moment, Gutt assume à nouveau le portefeuille des Finances au sein du gouvernement Pierlot I. Il y resta tout au long de la guerre, dans le Gouvernement en exil, à Londres.


 

Prévoyant le pire, il a, dès les premières semaines de son entrée en fonction, mis à l’abri aux Etats-Unis une partie des réserves d’or de la Belgique. En mai 1940, après l’invasion, il s’occupe de régler de nombreuses questions monétaires et financières.


 

Vis-à-vis des Anglo-Saxons, il joue un rôle de premier plan non seulement dans toutes les négociations ayant trait aux modalités de la coopération belge à l’effort de guerre allié mais aussi dans les tractations visant à la mise en place d’un accord monétaire international pour l’après-guerre.


 

Profitant de ses bonnes relations avec des économistes britanniques de renom (John Maynard Keynes, Harry Dexter White,…), il participe à la conférence de Bretton Woods (juillet 1944) dont l’objectif est la mise sur pied d’un nouvel ordre international sur le plan monétaire.


 

Après 1945, il abandonna la politique. Nommé Ministre d’Etat par le Régent, il continua d’évoluer dans les milieux de la haute finance, que ce soit au Fonds Monétaire International, qu’il a dirigé de 1946 à 1951, au Conseil de régence de la Banque Lambert ou dans les conseils d’administration des sociétés belges et étrangères liées à celle-ci.

 

 


 


 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents