ESTERWEGEN
Camp de la Mort lente.
Peu de choses sont connues à propos d'Esterwegen. L'administration locale a fait tout ce qu'elle pouvait pour "oublier" l'existence de ce camp. Il n'y avait pas de crématoire. Les centaines de victimes sont enterrées dans un cimetière dans les bois.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_2a9da5_telechargement.png)
1. Localisation.
Esterwegen est une municipalité allemande dans l’Emsland, en Basse-Saxe, près de la frontière germano-néerlandaise.
Dans l'Emsland, des camps et des prisons existaient depuis 1923: Börgermoor, Aschendorfer Moor, Brual-Rhede, Dorpen-Walchum, Neusustrum, Overlangen, Esterwegen, Wesuwe, Veerssen, Füllen, Gross-Hesepe, Dalum, Wietmarschen, Bathorn, Gross-Ringe (camp d' Alexisdorf). En 1933, les nazis décidèrent d'utiliser deux de ces camps pour "accueillir" les opposants politiques: Börgermoor et Esterwegen.
2. Camp de Concentration ?
Officiellement, Esterwegen n'était pas considéré comme un camp de concentration mais était un "Strafgefangenenlager" ( camp de punition pour prisonniers ). Bien sûr, les conditions de vie à Esterwegen étaient en tout point comparables à celles des « véritables » camps de concentration: tortures, exécutions, travail forcé dans les marais jusqu'à la mort, etc.
Plusieurs autres camps étaient situés dans l'Emsland, une région relativement sous-développée et peu peuplée. Les nazis prévoyaient d'utiliser les détenus pour transformer l’Emsland : rendre les landes ( zones humides et marécageuses ) en terres arables et cultivables.
Les prisonniers des camps d'Emsland découpaient la tourbe, la transportaient à l'aide de charrettes à bras, dispersaient du sable et du granit et déchargeaient des barges du canal voisin. Comme l'a rappelé un prisonnier, Nikolaus Wasser, le travail était difficile :
« Le travail dans le marais d'Ems était très dur. Chaque jour, nous devions briser la lande boueuse. Cela a commencé par creuser un fossé… Grâce à l'incitation des gardes et à l'usage de la terreur, nous avons atteint les limites de nos forces. La nourriture et le sommeil ne nous permettaient pas de renouveler nos forces, il nous était donc plus difficile d'effectuer le travail du jour au lendemain. »
2.1. Origine.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_f7bd0a_rudolf-diels-s-adressant-aux-detenus.jpg)
Représentant de l'Etat prussien s'adressant aux détenus en 1933.
En été 1933, Esterwegen fut choisis par l’État nazi pour accueillir les opposants politiques, comme sous-camps de Papenburg.
En octobre 1933, Papenburg disposait de quatre sous-camps, qui accueillaient ensemble 4000 détenus : Börgermoor , Esterwegen II, Esterwegen III et Neusustrum. Chaque camp contenait environ 1000 prisonniers.
Esterwegen II et Esterwegen III étaient situés l'un à côté de l'autre. Esterwegen II a ouvert ses portes le 11 août 1933. La construction d'Esterwegen III a commencé trois jours plus tard. La plupart des prisonniers d'Esterwegen étaient des prisonniers politiques , dont beaucoup de communistes .
2.2. Les premières tribulations ( des SS aux SA et retour via la police prussienne ).
Au départ, l’État nazi ne disposait pas encore de toute la maîtrise. Les anciens états restaient malgré tout puissants. Notamment la Prusse dont relevait Esterwegen.
Au début, Esterwegen II et III étaient gardés par les SS. Mais ceux-ci ont de suite posé beaucoup de problèmes dans le camp et avec la population locale. Ils ont assassiné six prisonniers, trois à Esterwegen II et trois à Esterwegen III. Ils ont maltraité les opposants politiques juifs et des hommes politiques éminents. Cette violence excessive a perturbé le gouvernement prussien, qui réclamait un meilleur contrôle sur les conditions des camps.
Le 6 novembre 1933, la police prussienne reprend provisoirement l'administration du camp et chasse les SS. Le 20 décembre 1933, la police prussienne remet l'administration d'Esterwegen II et III aux SA. On peut considérer cela comme une ultime velléité d’un état allemand de manifester son autonomie.
Au cours de 1933 et au début de 1934, la population carcérale d'Esterwegen II et III a considérablement diminué. À la fin d'avril 1934, la population totale des camps était de 1162.
2.3. Après 1934.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_1e4e83_entree.gif)
Porte d'entrée
En juin 1934, Esterwegen II et III furent regroupés et officiellement convertis en un seul camp de concentration administré par l'Inspection SS des camps de concentration (IKL) sous le contrôle du chef SS Heinrich Himmler.
Un haut mur extérieur est construit entourant le camp, pour l’isoler. Le camp contenait 1000 prisonniers. Esterwegen a existé en tant que camp IKL du 1er août 1934 au 23 septembre 1936. Le camp s'est préparé à fermer à l'été 1936.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_461b32_baraques.jpg)
Baraquements.
Les prisonniers restants ont été déplacés pour aider à construire un nouveau camp de concentration à Sachsenhausen.
Mais ce n’est pas pour autant qu’Esterwegen a disparu !
Les SS ont vendu Esterwegen au ministère de la Justice pour 1,05 million de Reichsmark (RM). Ils ont utilisé une partie de ces recettes pour financer Sachsenhausen. Le site d'Esterwegen a continué à servir de lieu de détention tout au long de l'ère nazie.
De 1937 à 1945, Esterwegen était un camp de prisonniers géré par l’administration judiciaire du « Reich ».
En 1935 et 1938, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pu visiter les camps de concentration allemands d’Esterwegen, d’Oranienburg et de Dachau. Le fait fut présenté de façon valorisante dans les annales de l’institution. En effet, tandis que les démocraties occidentales assistaient passivement au développement de la dictature hitlérienne, le CICR pouvait se targuer d’avoir tenté d’en secourir les victimes.
Le résultat concret fut en réalité nul. La Croix Rouge en tira une certaine gloriole d’avoir su s’imposer mais comme ce fut sans suite réelle, les nazis en tirèrent profit aussi : ils avaient montrer qu’ils n’avaient rien à cacher !
3. Esterwegen durant la seconde guerre.
En 1941, de nombreux prisonniers et opposants politiques non-allemands, de Belgique, de France, de Hollande et de Tchécoslovaquie, y furent envoyés. Esterwegen devint administrativement dépendant du camp de concentration de Neuengamme.
Plus crument, ce fut le camp principal destiné aux déportés Nacht und Nebel ( NN ) avec quelques 2696 détenus NN sur un total d’environ 7000. Environ 800 détenus NN ont été transférés au camp de Börgermoor, en raison du surpeuplement d’Esterwegen.
Les prisonniers classés "NN" étaient condamnés à "disparaître dans la nuit et le brouillard" (d'où l'appellation Nacht und Nebel), dans un isolement total. Tout contact avec l'extérieur leur était interdit et toute trace de leur destin devait être effacée : personne ne devait jamais savoir ce qu'ils étaient devenus. Les tombes étaient anonymes.
Ce fut aussi un camp disciplinaire pour des soldats allemands condamnés par des tribunaux militaires de la Wehrmacht.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_8da0f0_800px-karte-des-lagers-esterwegen-1955.jpg)
4. La Résistance à Esterewegen.
Comme dans les autres camps, malgré les conditions de vie et l’extrême surveillance, des expériences de résistance eurent lieu.
4.1. Un poste à galène.
Deux résistants belges, Auguste Déan et Valère Passelecq, utilisant tout ce qu’ils pouvaient ramasser, fabriquèrent un poste à galène, après plusieurs mois d’efforts. Après plusieurs nuits d’écoute ils parvinrent à capter la BBC et entendre « Ici Londres ! ». Valère Passelecq, polyglotte, traduisait les informations diffusées en plusieurs langues.
4.2. Un journal clandestin.
De septembre 1943 à février 1944, une équipe réussit à fabriquer un journal sur du « kubelpapier ». Les allemands en distribuaient un seul rouleau par baraque et par mois. On écrivait soigneusement les textes en plusieurs exemplaires qui étaient distribués dans les baraques. Ainsi on soutenait le moral des déportés en les tenant au courant du déroulement des opérations militaires diffusées par le BBC. On peut sans doute affirmer que les détenus étaient mieux au courant de l’évolution de la guerre que les gardes SS.
Grâce à une dénonciation, les Allemands découvrirent le journal et arrêtérent les auteurs. Valère Passelecq est pendu. Auguste Dean est envoyé à Bayreuth puis à Dachau, où il passe le terrible hiver 1944-1945.
4.3. La résistance morale.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_4c72f4_loge-maconnique.jpg)
En novembre 1943, une loge maçonnique baptisée "Liberté Chérie" fut créée par 7 francs-maçons internés dans la baraque n° 6 du camp. Ils se réunissaient clandestinement pour leurs Tenues dans le fond de la baraque avec la complicité d'autres prisonniers montant la garde. En effet, s'ils étaient découverts par les geôliers, ils risquaient la mort. Ces Maîtres francs-maçons furent Franz Rochat, Jean Sugg, Guy Hannecart, Paul Hanson, Luc Somerhausen, Joseph Degueldre, Amédée Miclotte rejoints par Fernand Erauw.
C’est dans cette même baraque n°6 que des prêtres catholiques disaient la messe dans le même temps que les maçons tenaient leurs réunions.
4.4. La chanson du camp.
« Esterwegenlied ». Le texte ( 1934/1935 ) est une variation d'une autre chanson de prison, "Ein Lichtehäftling war ich zwar". La musique est une adaptation d'un air militaire, "Ich bin ein Bub vom Elstertal".
A ESTERWEGEN DANS LE CAMP
A Esterwegen, dans le camp,
hollario, holdrio,
Je suis des mois, des jours, des ans,
hollario, holdrio.
Demandez où va mon esprit ,
Je répondrai : « Vers ma patrie ! »
Et chaque jour dès tôt matin, holl...
C’est la fatigue et le turbin, holl...
Alors joyeux je pense aux miens
Qui sont là-bas au loin.
Jamais, non, je ne me plaindrais, holl...
Mon chant retentit clair et frais, holl...
Qu’on nous force au travail, au sport,
Toujours un chant prend son essor.
Pour nous aussi le temps viendra, holl...
Où la détention finira, holl...
Alors nous rentrerons chez nous,
Qu’il pleuve, vente ou souffle doux.
Tant qu’Esterwegen, je vivrai, holl...
Au dur chemin je penserai, holl...
Car qui dans tes murs a été
Est très pressé de s’en aller.
5. Quelques détenus célèbres.
/image%2F2782635%2F20210728%2Fob_40256e_carl-von-oss.png)
Parmi les plus connus des détenus d’Esterwegen des années d’avant-guerre, figure le lauréat du Prix Nobel de la Paix, Carl von Ossietzky. Il était incarcéré depuis de longs mois lorsqu'on lui attribua le Prix Nobel de la Paix en 1936. Devenu célèbre mondialement, Karl von Ossietsky devint un problème pour les nazis: ils ne pouvaient plus s'en débarrasser aussi facilement. On le transféra dans un hôpital civil où il mourut en 1938 sous l'étroite surveillance de la Gestapo.
Plusieurs détenus belges, en plus des francs-maçons signalés plus haut :
Aimé Dandoy, fondateur du Mouvement National Belge
Alfred Steux, résistant belge membre du R.N.J.
Édouard Froidure, fondateur des Petits Riens en 1937, arrive au camp d'Esterwegen, le 28 août 1943.
Horn, résistant, membre de l'armée secrète.
-
Père Jozef Raskin (1892-1943), missionnaire catholique et résistant belge.
Et des hommes politiques allemands :
Julius Leber, homme politique allemand.
-
Georg Diederichs, ancien Ministre-Président de Basse-Saxe.
August Dickmann, opposant allemand au régime national-socialiste, Témoin de Jéhovah.