RAVENSBRÜCK:
L'ENFER DES FEMMES.
Dante Aligieri
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1. Localisation.
C’est à Ravensbrück, à 80 kilomètres au Nord de Berlin, que le plus grand camp de concentration réservé aux femmes se trouvait durant la Seconde Guerre mondiale.
Le camp fut construit sur les bords du lac Schwedtsee, en face de la ville de Fürstenberg/Havel dans un véritable paysage de désolation: une zone marécageuse entourée de dunes et de sables gorgés d'eau. Un vent glacé souffle sans cesse. On surnomme cette région la "petite Sibérie mecklembourgeoise" tant le climat est rigoureux.
Cet endroit fut choisi car il était à la fois très isolé et cependant facilement accessible. Une route en excellent état reliait Ravensbrück et Fürstenberg. Là se trouvait une gare importante directement reliée à Berlin.
On y trouve donc deux conditions essentielles pour établir un camp de concentration: de bonnes connexions et un isolement relatif. La proximité de Berlin permettait aux prisons de l’Alexanderplatz et de Barnimstrasse de servir d’étapes avant l’arrivée au camp de Ravensbrück.
Maintenant, les baraquements en bois des prisonnières ont disparu depuis longtemps. Il ne reste plus qu'un champ rocheux lugubre et vide.
C’est là qu’ont afflué pendant 6 ans des déportées dont 36% de Polonaises, 21% de Soviétiques, 18% d’Allemandes et Autrichiennes, 8% de Françaises, 7,5% de Hongroises et 9,5% d’autres pays européens occupés
par les nazis.
Pour rentabiliser, des entreprises SS furent installées à proximité du camp et les femmes furent astreintes aux travaux forcés les plus pénibles. Des firmes allemandes célèbres ( SIEMENS par exemple ) en profitèrent également comme la poudrerie Skoda ou la fabrique d’obus de DCA Heinkel.
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2. Historique.
A la fin de l'automne 1938, Himmler prit la décision d'ériger un camp de concentration pour femmes à Ravensbrück.
Rapidement, fin 1938, 500 prisonniers furent transférés de Sachsenhausen pour l'édification du camp. Ils construisirent 14 baraques de logement, une cuisine, l'infirmerie, ainsi qu'un petit camp pour hommes totalement isolé du camp des femmes. Le tout entouré d'un haut mur surmonté de barbelés électrifiés.
Le camp était destiné d'abord aux détenues politiques, opposantes politiques, communistes, ou résistantes polonaises, allemandes, françaises, prisonnières de guerre russe. En second lieu aux détenues raciales, juives, tsiganes, roms...
Le 18 mai 1939, arrivèrent les premières femmes prisonnières, 860 allemandes et 7 autrichiennes. Le 29 mai, ce fut l'arrivée de 400 tziganes autrichiennes. Dès le 28 septembre de la même année, les premières prisonnières en provenance de Pologne furent déportées à Ravensbrück. Fin 1939, le camp comptait 2290 prisonnières.
À partir d'avril 1941, des hommes y furent également détenus, mais dans un camp annexe. Il servit de réservoir de main d’œuvre pour les agrandissements et aussi de camp disciplinaire: 20 à 25000 détenus y sont passés, mais très peu survécurent.
Avec la guerre, la population du camp devint de plus en plus internationale. Y étaient regroupées des prisonnières issues de 20 pays européens. Bien que ce soit un camp de femmes, le régime était exactement le même que dans les autres camps de concentrations: travaux forcés, expérimentations "scientifiques", coups, tortures, pendaisons, exécutions...
Suite à l'affluence de prisonnières, le camp dut être agrandi jusqu'à 4 reprises.
À la fin de l’année 1940, on décida d'ouvrir à proximité du camp principal, un camp de détention réservé adolescentes, dénommé "Uckermark".
Les travaux commencèrent en juillet 1941. Fin 1941, au camp principal, il y avait 12000 prisonnières. Fin 1942: 15000. Fin 1943: 42000.
En 1942, des convois de femmes russes arrivèrent au camp. Le nombre d'enfants s'accrut également. Jusqu’en 1942, il y avait +/-1000 détenues juives à Ravensbrück, notamment pour avoir « souillé la race allemande », c'est-à-dire avoir épousé ou avoir eu des relations avec des "aryens". Dès 1942, elles furent progressivement acheminée vers les camps d’extermination.
À partir de 1943, le nombre de convois augmente. La plupart proviennent des territoires occupés ( des Polonaises, des Tchécoslovaques, des Françaises, des Ukrainiennes, des Russes, des Norvégiennes, des Italiennes, des Belges, des Yougoslaves, des Néerlandaises et des Luxembourgeoises ), presqu’exclusivement des opposantes politiques, des résistantes.
Le pic des arrivées se situe dans le deuxième semestre de 1944 avec aussi des transferts de détenues venant d’autres camps. Cela durera jusqu’en avril 1945 dans le cadre de l’évacuation des camps progressivement libérés par les Alliés.
En novembre 1944, le camp où fonctionnait déjà un four crématoire vit la construction d'une chambre à gaz. A ce moment, la population du camp atteignait 80000 femmes et enfants.
En janvier 1945, il y avait à Ravensbrück et dans ses sous-camps plus de 45000 prisonnières et plus de 5000 prisonniers.
Début 1945, pour réduire la surpopulation, des médecins ont opéré des sélections afin d’isoler les femmes âgées, malades ou épuisées. Cette sélection fut en fait une véritable traque. On peut distinguer quatre formes de mises à mort: l’abandon des plus affaiblies sans aucune ressource au camp d’Uckermark, l’empoisonnement par Luminal ou par injection, les exécutions par balles ou les mises à mort massives dans une chambre à gaz provisoire. Cela donna au camp une allure de camp d’extermination.
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3. La libération du camp.
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En 1945, en mars, les SS procédèrent à l'« évacuation » du camp: 2100 prisonniers vers Sachsenhausen et 5600 prisonnières vers les camps de concentration de Mauthausen et Bergen-Belsen.
Fin avril, plus de 20000 prisonnières et presque tous les hommes encore sur place furent obligés de se rendre à pied vers le nord du Mecklembourg. Ils furent libérés par les soldats russes croisés sur leur route.
Les derniers assassinats se produisent le 25 avril, avec onze détenues employées au crématorium exécutées par empoisonnement. Plusieurs milliers de détenues furent gazées juste avant la libération du camp.
Le 29 avril, les gardes du camp s'enfuirent. Ils veillent à brûler les documents importants du camp et à couper l’eau et l’électricité, condamnant ainsi à mort les dernières survivantes, la plupart grabataires.
Le 30, l'avant-garde russe arriva. Le 1er mai, ce fut le tour des unités régulières. La Croix Rouge fut la première à obtenir l'autorisation d'intervenir dans le camp.
Lorsque les troupes soviétiques libérèrent Ravensbrück, ils y trouvèrent plus de 2000 hommes, femmes et enfants malades et affaiblis.
Entre 1939 et 1945, plus de 130000 prisonnières passèrent par le réseau des camps de Ravensbrück. Entre 20000 et 30000 y périrent. Le chiffrage correct est quasi impossible.
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4. Quelques fonctions du camp de Ravensbrück.
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À partir de l’été 1942, les médecins SS soumirent les prisonnières à diverses expériences médicales: tests de traitements contre les blessures avec diverses substances chimiques (telles que le sulfanilamide) pour prévenir les infections; essais de méthodes de fixation et de transplantation des os; des amputations; tests de stérilisation sur des femmes et des enfants, dont de nombreux Tsiganes. Pour ces expériences, les SS sélectionnèrent 86 victimes, la plupart Polonaises. Beaucoup en moururent, et la plupart des survivantes souffrirent de lésions irréversibles.
A ces victimes, on donna le surnom de « lapins ». En allemand, "cobaye" se dit "Versuchskaninchen", littéralement « lapins d’expérimentation ». Parmi les "lapins", 63 ont pu être sauvées grâce à la solidarité des autres détenues et malgré l’obstination des nazis à faire disparaître toute preuve de leur exaction. Celles-ci ont été cachées et aucune ne fut dénoncée. Lors de l’évacuation du camp, elles se sont évadées dans les bois et sont parvenues ainsi à survivre.
Les médecins SS utilisèrent également les enfants pour des expériences médicales. Des jeunes filles, quelquefois à peine âgée de 8 ans, furent stérilisées par exposition directe des organes génitaux aux rayons X.
Ravensbrück servit aussi comme principal camp d’entraînement pour les gardiennes de camps (weiblichen SS-Gefolges.) Elles n'étaient pas membres de la SS, elles étaient « femmes employées civiles de la SS ». Il y en eut 150 à Ravensbrück. Beaucoup avaient été endoctrinées très jeunes dans des groupes de jeunes nazis et croyaient à l'idéologie d'Hitler. Elles furent d'une cruauté difficilement croyable. Il est malaisé de penser que des femmes pouvaient être aussi cruelles.
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Autre aspect aussi peu reluisant: en 1942, les SS ouvrirent des maisons closes dans quelques camps de concentration. Il s'agissait de récompenser les prisonniers dont le travail donnait satisfaction. La plupart de ces femmes ( une centaine ) provenaient du camp de Ravensbrück. D'autres choisirent d'y travailler par ce qu'on leur avait promis un traitement de faveur ou une libération après six mois. Promesse non tenue !
De nombreuses prisonnières arrivèrent enceintes. Au début, les nouveau-nés étaient étouffés ou noyés. Par la suite, on les laissa vivre, mais rien n’était prévu pour les accueillir. En septembre 1944, on créa la Kinderzimmer ( Chambre des enfants ), mais sans aucun moyen sauf la débrouillardise et la solidarité des détenues. C’était une pièce avec deux lits de deux étages superposés, on y couchait jusqu’à 40 bébés couchés en travers des châlits.
Le nombre de 600 naissances est évoqué, mais seulement une quarantaine d’enfants ont quitté le camp en vie. D'autres sources donnent des chiffres différents: 850 naissances pour seulement quelques survivants. D'autres encore parlent de 500 naissances, mais c'est le chiffre des naissances officiellement consignées...
5. Le camp des jeunes "Jugendschutzlager".
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Ce camp, à une vingtaine de kilomètres de Ravensbrück fut construit en 1942. Dans le vocabulaire nazi, le camp de concentration était nommé « camp de protection de la jeunesse » (Jugendschutzlager).
Les nazis avaient pris conscience de l’influence des femmes, surtout cdes jeunes, dans l'opposition au régime et à son idéologie. Ils durent prendre en main l’éducation des jeunes Allemandes récalcitrantes, les SS exerçant un contrôle absolu sur celles qui ne s’adaptaient pas au modèle de société imposé par l’idéologie nazie. Pour elles, destination: ce camp !
Plus de la moitié venaient de l’assistance publique qui se débarrassait ainsi de ses éléments les moins malléables. Les motifs d’incarcération étaient tous proches de ceux des femmes : « asociales », « ayant entretenu des relations avec des éléments allogènes », « dépravation sexuelle », « issues de familles qui ne sont pas parfaitement saines » ou « atteintes de tares héréditaires » ou celles « déjà passées sans succès par un régime d’éducation surveillée ».
Le règlement prévoyait bien une formation professionnelle. En réalité, ces adolescentes travaillaient dans des conditions aussi pénibles qu’à Ravensbrück : assécher les marais, charger et décharger les péniches, abattre et scier les arbres, creuser les tranchées, travailler en usine...
Ce camp a rempli cette fonction jusqu'en janvier 1945. Après, puis de camp de sélection et d'extermination pour les femmes du camp de Ravensbrück jusqu'à sa libération en avril 1945. Il fait partie des camps que l'on qualifie parfois d'« oubliés ». Par euphémisme ou dérision, les SS parlaient d'envoi "au repos"
Les prisonnières devaient défiler devant les gardes et médecins SS. Être non présentable ou malade signifiait presque toujours l'envoi au "repos". En réalité, ce "repos" consistait à être enfermé dans les baraques sans aucun soins ni nourriture jusqu'à la mort.
La majorité des femmes envoyées à Uckermark n'y arrivaient même pas. Elles étaient gazées dans des camions aménagés dans ce but, transformés en chambre à gaz mobiles. Les victimes étaient asphyxiées par les gaz d'échappement du moteur.
Les SS appelaient le transfert pour Uckermark "transport pour Mittweida". "Mittweida" était le nom de code signifiant le gazage.
6. Dernière remarque.
Une lecture plus approfondie de la presse belge parlant du retour des déportés de Buchenwald, de Dachau, de Mauthausen… et de celui des déportées de Ravensbrück serait intéressante. En effet, la libération du camp de Ravensbrück n’a guère suscité d’intérêt. Il n’est question de Ravensbrück que dans les rubriques « nécrologie », « on recherche », « on demande des nouvelles de… ».
Des 1.669 déportées belges, 443 moururent de maladie, de malnutrition, de mauvais traitements.
Cela représentait, proportionnellement aux hommes libérés, un taux mineur. Cela explique sans doute le manque d'intérêt.