Près de 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ombre de la collaboration et de ses conséquences plane toujours sur la société belge.
Bien sûr, on ne reparle plus d'amnistie, il n'y a plus personne à amnistier. Mais la tentation est toujours là de réhabiliter les félons.
On entend maintenant dire « Les collaborateurs avaient bien sûr tort...mais il avaient leurs raisons ». Ou bien « L'épuration a été trop sévère. On a puni des gens qui n'avaient pas fait grand chose. »
Il est bon de rappeler quelques chiffres concernant l'épuration. Ce n'est pas inutile car c'est peu connu et cela va à l'encontre de cette idée que l'on tend de répandre selon laquelle l'épuration aurait été trop sévère.
S'il est bien exact que, après guerre, jusqu'en 1949, 405067 personnes furent inculpées pour faits de collaboration, les suites judiciaires réelles sont tout-à-fait différentes.
71% de ces dossiers furent purement et simplement classés sans suite, donc sans comparution devant un tribunal. 288101 inculpations furent maintenues.
15% comparurent devant un tribunal mais s'en sortirent par un un non-lieu.
Seulement 14% de ces inculpations ( 57254 )donnèrent donc lieu à poursuites pénales.
Sur ces 57254, 53005 furent effectivement condamnés dont 2340 à perpétuité et 2940 à mort. ,
Parmi les condamnés à mort, 242 furent exécutés.

Dans le cadre de l'épuration, 43093 belges perdirent leurs droits civils et politiques pendant une certaine période.
La plupart des condamnations les plus sévères le furent par contumace parce que les accusés s'étaient réfugiés à l'étranger ( cas de DEGRELLE en ESPAGNE ). Cela concerne quand même 1744 condamnés sur 5280 ( 1693 condamnés à mort et 501 à perpétuité ).
Une des dernières tentatives de réhabilitation fut déposée par une proposition de loi en 1995 par Monsieur Bert ANCIAUX, alors sénateur de la Volksunie. Voici la motivation de sa proposition de loi. C'est édifiant :
« Au cours des trente-cinq dernières années, des propositions de loi ont régulièrement été déposées en vue d'amnistier ou de réhabiliter et de rétablir dans leurs droits ceux qui ont été condamnés dans le cadre de la répression et de l'épuration. Elles n'ont été prises en considération qu'à de rares occasions.
Le climat politique semble être quelque peu meilleur aujourd'hui. Serait-il dès lors possible de débattre de mesures concrètes dans cette matière délicate ? Nous osons l'espérer.
Nous insistons en tout cas pour qu'un tel débat ait lieu. Nous croyons sincèrement que les responsables politiques sont capables d'engager un dialogue serein sur les conséquences de faits qui se sont produits il y a un demi-siècle, en particulier si chacun accepte de ne pas prendre pour postulat qu'il a raison sur toute la ligne.
Nous tenons à préciser à cet égard que nous comprenons les réactions émotionnelles de ceux qui ont eu à souffrir des atrocités du régime nazi. La souffrance profonde, voire intolérable, engendrée par les poursuites, les tortures et la terreur affecte sans nul doute encore nombre de victimes ainsi que leur famille et leurs enfants. Nous souhaitons, nous aussi, que les nouvelles générations n'oublient jamais ce qui s'est passé et qu'elles continueront à honorer la mémoire de ceux qui se sont engagés pour défendre la liberté et la démocratie.
Nous demandons cependant avec la même insistance que l'on fasse preuve de compréhension à l'égard de ceux de nos compatriotes qui ont été condamnés ou déchus de leurs droits pour faits de collaboration politique et intellectuelle. La collaboration politique a d'ailleurs connu en Flandre une autre évolution qu'en Wallonie, et ce, pour des raisons historiques qui sont à l'origine du mouvement flamand. Nous demandons également que l'on fasse preuve de compréhension à l'égard des jeunes qui, animés par un idéal religieux, ont combattu le bolchevisme. Les « collaborateurs » appartenant aux deux groupes précités n'étaient pas des criminels. Ils croyaient servir leur peuple et agissaient par conviction. Leur engagement désintéressé était malheureusement fondé sur de fausses promesses et des idées erronées. Ils étaient naïfs. Leurs attentes ne furent pas non plus satisfaites. L'ennemi restait aussi leur ennemi et n'a fait que les abuser. La collaboration à laquelle les a poussés leur idéalisme a été une erreur, voire une faute. Ces « collaborateurs » furent souvent traités injustement et punis trop sévèrement ou inutilement dans le cadre de la répression et de l'épuration. Des erreurs et des fautes ont également été commises au cours de la répression qui a suivi la guerre. Il est bon que les jeunes générations connaissent l'histoire de leur peuple, y compris les erreurs qu'il a commises, pour pouvoir en tirer les leçons.
C'est de ces condamnés de la répression et de ces victimes de l'épuration qu'il s'agit dans la présente proposition de loi, et non des personnes qui se sont rendues coupables de délation, de trahison ou de meurtre.
La présente proposition de loi ne vise par ailleurs ni à effacer la faute, ni à justifier les fautes ou les erreurs commises. Nous voulons pardonner, tout en sachant que pardonner n'est pas oublier. Après un demi-siècle, nous voulons un débat sur la réconciliation. »
La Belgique ne s'est quand même pas montrée vengeresse vis-à-vis de monsieur ANCIAUX. Son activisme ne l'a pas empêcher d'obtenir deux distinctions honorifiques :Commandeur de l'Ordre de Léopold le 6 juin 2009 et Grand officier de l'Ordre de Léopold le 21 mai 2014.
La première proposition de loi en faveur de l’amnistie fut déposée en novembre 1955. Depuis de nombreuses propositions ont été déposées par des parlementaires catholiques ou nationalistes flamands. Aucune n’a jamais abouti. La dernière en date remonte à mai 2011. Déposée par des parlementaires du Vlaams Belang, elle a passé le cap de la prise en considération grâce aux voix de l’ensemble des partis flamands – Groen excepté.
La « prise en considération » d'une proposition de loi signifie simplement que la Chambre ( ou le Sénat alors ) accepte d'en discuter sans engagement sur le vote final.
Les parlementaires francophones sont résolument opposés à l’amnistie et les Flamands, y compris la NVA, depuis 2011, ne semblent plus guère s’y intéresser.
Nous avons parlé de la répression judiciaire. On ne doit pas cacher qu'il y eut une réaction populaire, de la rue. Après quatre années de peur et d'occupation, la rue s'en prit aux suspects, à leurs familles et à leurs biens. Une première vague de violence intervint lors des semaines de libération à l'automne 1944, une seconde au printemps et à l'été de 1945, quand les prisonniers politiques sont rentrés au pays. On assista au spectacle des femmes tondues et des pillages de biens, des incendies de ferme...

