Auschwitz, le mot impossible

Chaque fois, je tente de dire Auschwitz
Mais les mots se dérobent sous moi,
Retirant la terre qui porte ma douleur,
Imposant un silence de mort à ma voix.
Chaque année, je prends le Ciel à témoin,
La terre me refuse son soutien;
Le corps des mots git dans les charniers
Mélangés aux os de leurs corps décharnés.
Laissez-moi vous dire,
Laissez-moi témoigner,
Oui, la terre a ouvert sa bouche,
Le gouffre les a avalés.
Je suis ce gouffre
Et cette chair brûlée,
Je suis ce cri qui meurt dans ma bouche,
Je suis leurs voix étranglées.
Cette année encore,
Approchant de l'abîme
Mes pieds au bord du Vide,
Je pleure et j'implore.
Laissez-moi vous dire,
Laissez-moi témoigner,
Le Ciel s'est ouvert pour les engloutir
Et la nuit les a emportés.
Je suis une petite fille avec des nattes brunes,
Je marche dans la file, entourée de la brume;
Le regard fixé sur mes chaussures,
Je rêve de la belle lune.
Je suis cette petite fille avant que d'être née,
Je marche et marche encore,
Il me semble que je marche pour l'Eternité;
Sur moi, brille une douce étoile en or.
Laissez-moi vous dire,
Laissez-moi témoigner,
La terre et le ciel sont complices,
Leurs indifférences m'ont assassinée.
Dans les chambres à gaz, ils se déshabillaient,
Confiants aux crochets, juste pour un instant
Leurs vêtements retirés,
Répétant pour après, le nombre du crochet, inlassablement.
Je suis l´Instant qui attend
Leur retour depuis la nuit des temps,
Je suis leurs pauvres vêtements
Pendus aux crochets de leurs instants.
Laissez-moi dire,
Laissez-moi témoigner,
Sur la terre, ils vont revenir
Pour en hériter et l'habiter.
Six millions de numéros
Gravés sur leurs peaux,
Tissent dans mon âme
Le vêtement de l'infâme.
Mes morts ne reposent pas
Et le monde continue de tourner,
La terre accuse le Ciel de sa beauté
Et le ciel accuse la terre de son iniquité.
Je voudrai savoir dire,
Mais je ne sais témoigner;
A nouveau, le monde accueille le pire,
Complaisant, il respire le Mal qui renaît.
L´étoile était bien jolie
Elle me parlait d'Infini,
Mais dans le regard des grands,
Elle signifiait la terrible nuit.
J´étais une petite fille au regard de lune,
Sa main tenait la mienne si fort;
Elle s'est pourtant perdue dans l'amertume,
Avec elle, j'ai perdu mon étoile d´or.
Je ne sais plus comment dire,
Les mots se sont échappés,
Je voudrais juste dormir
Et avoir rêvé.
Les forets sans honte glorifiaient le ciel,
Et les montagnes sentaient bon le petit bonheur
Tandis que sur des rails qui mènent vers l'horreur,
Les trains emportaient les enfants d'Israël.
Coupable, la nature est coupable
D'avoir permis outrageusement
Que la beauté du monde s'offre en spectacle,
Alors que l'odeur de la chair de mon peuple parfumait les villages avoisinants.
Non, je ne sais pas dire
Et je ne puis témoigner;
Je sais juste accueillir
Leurs présences oubliées.
Dieu a caché son visage,
Ils ont été anéantis;
Et moi, je n'ai plus d'âge,
Je suis la gardienne de leurs vies.
Mes larmes viennent de la nuit des temps
Et Dieu pleure avec moi,
Elles qui sont le fruit amer de tous leurs sangs,
Dieu refuse qu'elles ne sèchent jamais.
Je ne sais pas dire,
Je ne sais pas témoigner,
Je ne suis que délire,
Un hurlement qui se tait.
Je suis hier et je suis aujourd'hui,
Je suis cette petite fille perdue dans la nuit,
Je suis leurs voix étouffées,
Je suis leurs regards mutilés.
Je suis le gouffre béant,
Je suis ces corps qui tombent,
Je suis l'odeur de la chair calcinée,
Je suis votre part d'ombre.
Je ne saurai jamais dire,
Je ne sais que prier
Pour que jamais le Pire
Ne soit oublié.
Je devine le lieu de votre dernière demeure,
Enfants de mon peuple assassinés,
Bien-aimés qui me demandaient
De témoigner pour vous contre la terreur.
Vos sangs couleront dans les veines de l'arbre de Vie
Dont les belles racines plongent si près de Sa Lumière;
Vos âmes fleuriront dans le jardin de l'Infini;
Pour l'heure, elles éclairent mon cœur de votre douleur.
Je suis une petite fille avec des nattes brunes…

