Les femmes et la guerre de 14-18.
On a l'habitude de célébrer les hautes figures féminines: Edith CAVELL, Gabrielle PETIT, la Reine Elisabeth. Et on a bien raison ! Mais on a tendance à oublier le rôle de femmes ordinaires durant cette guerre.
En BELGIQUE, dès les premiers jours de la guerre, les femmes n'ont pas été épargnées par la barbarie allemande. La mobilisation des hommes avait désorganisé toute l'activité économique. De nombreux commerces et entreprises avaient fermé leurs portes. Une grande partie des emplois d'avant guerre étaient disparus. Nombre de femmes furent ainsi privées du salaire de leur mari. La misère devait fatalement suivre.
L'entrée en BELGIQUE des troupes allemandes et, surtout, leur piétinement alors qu'ils pensaient qu'une voie royale leur était ouverte a provoqué, nous en avons déjà parlé, leur fureur. Maisons brûlées, civils brutalisés, malheureux fusillés sans raison, déportés, sont des événements tragiques dont le souvenir reste vivace jusqu'à nos jours et qui ont trop souvent accompagné leur marche.
Voici le récit fait par un soldat allemand, à DINANT, le 23 août 1914:
"Le soir à dix heures, le 1er bataillon du 178° descendit dans le village incendié au nord de Dinant... À l'entrée du village gisaient environ cinquante habitants fusillés pour avoir, par guet-apens, tiré sur nos troupes. Au cours de la nuit, beaucoup d'autres furent pareillement fusillés, si bien que nous en pûmes compter plus de deux cents. Des femmes et des enfants, la lampe à la main, durent assister à l'horrible spectacle... ".
Le texte ci-dessous est un passage du témoignage de Léonie CAPON ( citoyenne d'ETHE dans la province de Luxembourg ). Léonie CAPON a vu son mari se faire fusiller et leur maison incendiée par les envahisseurs.
Ce massacre a eu lieu le 23 août 1914. Son mari a été fusillé avec 15 autres villageois, lors d'une des fusillades collectives qui ont fait 282 victimes dans la population de ETHE. 256 maisons du village ont été incendiées pendant ces événements.
Voici son récit:
"Ma plus grande souffrance, en tournant la tête du côté de ma maison en feu, je pensais à mes six enfants restés dans la cave qui n'était pas voûtée. Je me suis mise à genoux devant les officiers allemands pour qu'ils me laissent aller chercher mes enfants. Ils m'ont chassée et j'ai recommencé quatre fois. Toujours ils m'ont chassée !
J'ai fini par retrouver madame MARCHAL qui parlait allemand; je lui ai dit qu'elle explique ma situation et que mes enfants étaient dans la cave et qu'ils allaient brûler. Alors deux soldats, revolver au poing, m'ont conduit dans la grand-rue où j'habitais pour aller chercher mes enfants. Le feu était plein les greniers, mais comme le bas ne brûlait pas encore, j'ai traversé les écuries et j'ai cherché partout pour trouver mes enfants. Le plus vieux, qui avait onze ans, avait vu mettre le feu et il avait remonté les plus jeunes de la cave, il les avait conduits au jardin, dessous un prunier. La grand-mère qui était encore dans la maison a dû sortir à coups de crosse de fusil, ne comprenant pas ce que voulaient ces deux sauvages. Je lui dis : "Grand-mère vous êtes prisonnière avec moi". J'ai dû la prendre par le bras pour sortir par le jardin, car dans la rue on ne pouvait plus passer.
J'ai retrouvé tous mes enfants sous le prunier, couchés par terre, car les Allemands tiraient sur ces innocents. J'ai pris tous mes enfants et je suis descendue au jardin jusqu'à la rivière. J'ai suivi la rivière et je suis arrivée près des autres prisonnières qui attendaient mon retour avec angoisse. Par bonheur, mon fils aîné avait eu soin de prendre une cruche de lait. Les pauvres femmes sont venues près de moi pour en donner à leurs petits. Des soldats qui passaient devant le jardin nous ont mises en joue pour nous fusiller.
Je vois encore toutes ces femmes se jeter par terre, moi, avec mes enfants, je suis restée toute droite en disant :
"Vous êtes des lâches, achevez votre oeuvre jusqu'au bout". Un autre officier est arrivé près de nous et il nous a dit en français : " Nous avons brûlé vos maisons, nous avons fusillé vos mari, vous n'avez plus rien sur terre, nous allons vous fusiller ".
Nous étions toutes remplies d'angoisse et d'horreur. La dame qui parlait bien allemand a demandé de nous laisser la vie, que nous trouverions bien de quoi nous nourrir[…]. Ils ont ainsi prolongé notre agonie pendant trois ou quatre heures. Ne pensant plus nous fusiller, ils ont dit qu'ils allaient nous conduire à Berlin. Nous avons été martyrisées tout l'après-midi, et à 8 heures du soir, ils nous ont chassées vers Saint-Léger et Arlon comme des prisonniers. Alors commence pour moi un long calvaire....Me voilà donc toute seule au monde, avec mes six pauvres petits enfants.
J'avais tout perdu : mon pauvre mari, mon père, mes deux beaux-frères, ma maison, mes bêtes, mon ménage, tout cela s'est envolé à la fois ! Et je reste avec la misère, la misère noire".
Cette dernière phrase est poignante: « ...Et je reste avec la misère, la misère noire. ».
D'où venait cette misère ? Dès la fin de l'été 1914, presque toute la BELGIQUE ainsi qu'une dizaine de départements français entrent dans une longue période noire qui va durer quatre ans. C'est une occupation qui s'installe, arbitraire. C’est un régime dur: contrôles multiples, réglementations diverses, arrestations, déportations, etc. Les difficultés de circulation sont telles, que l’existence des Belges se replie au niveau local. Les civils, se retrouvent dans une situation qui rappelle l'esclavage à l'ancienne. Durant cette période ( 51 mois ! ), les femmes ont eu la préoccupation majeure de subvenir aux besoins élémentaires de leur ménage.Les populations occupées souffrent du froid et de la faim, les territoires occupés étant directement concernés par le blocus économique allié. Or, la Belgique de 1914 importait environ 80% de son stock alimentaire. Ce blocus a pour conséquence que des dizaines de milliers d’Allemands, surtout des enfants et des vieillards vont mourir de faim. Et comme la Belgique est occupée entièrement à part la bande côtière, la population, donc surtout les femmes, connaîtra les conséquences de ce blocus.

Dans les récits de témoins, deux thèmes vont avoir un impact particulier sur l’opinion publique et seront à la base de l'idée de la violence allemande: les viols et les mutilations. Les Allemands tentaient de justifier leurs exactions contre les civils à l'aide de deux légendes. La première fut la légende des « francs-tireurs ». La seconde concerne les femmes, accusées d’arracher les yeux des blessés et d’empoisonner les soldats. Elles méritent donc d’être punies et humiliées. Aux yeux de l’opinion publique, le viol fait partie intégrante des « atrocités allemandes » et témoigne de l’importance du traumatisme des hommes incapables de défendre leur femme et leur famille. Mais l’ampleur du phénomène reste difficile à établir. Ceci, d'autant plus, que par pudeur, on semble l'avoir occulté dans la mémoire collective d'après-guerre.
La situation de la femme belge fut d'ailleurs un moyen utilisé à l'étranger pour attirer l'attention des populations et des gouvernements. En témoigne cette carte postale imprimée en SUISSE.
Devant des ruines fumantes symbolisant l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, une femme agenouillée revêtue de haillons, serre son enfant à demi nu contre sa poitrine. En arrière plan, le drapeau suisse se fond dans un ciel rougeoyant. Cette carte postale intitulé « Pour la Belgique » a été réalisée en automne 1914 par l’artiste neuchâtelois Charles Edouard Gogler, alors président du Comité de secours aux réfugiés belges de Saint-Imier. Elle fut réalisée sur sa propre initiative et vendue en Suisse au profit de l’œuvre pour les réfugiés belges. Rien que dans le vallon de Saint-Imier, la vente de cette carte postale rapporta plus de 600 francs au comité pro-belge.
